Author/Uploaded by Iman Bassalah
Iman Bassalah AÏDA OU LE BONHEUR DES DAMES Éditions Anne Carrière De la même auteure Romans À gauche du lit, Anne Carrière, 2021 Hôtel Miranda, Calmann-Lévy, 2012 Récits À l’école des enfants malades, Kéro/Calmann-Lévy, 2020 Comment réussir sa dépression ?, TF1 Publishing, 2010 Les Femmes au miel et autres histoires joyeuses, Michalon, 2009 Profs Academy, La Martinière, 2007 Documents La Vie sexu...
Iman Bassalah AÏDA OU LE BONHEUR DES DAMES Éditions Anne Carrière De la même auteure Romans À gauche du lit, Anne Carrière, 2021 Hôtel Miranda, Calmann-Lévy, 2012 Récits À l’école des enfants malades, Kéro/Calmann-Lévy, 2020 Comment réussir sa dépression ?, TF1 Publishing, 2010 Les Femmes au miel et autres histoires joyeuses, Michalon, 2009 Profs Academy, La Martinière, 2007 Documents La Vie sexuelle des écrivains, Nouveau Monde Éditions, 2016 À la plage (avec Pauline Baer), Balland, 2012 Collectifs La seule chose à briser, c’est le silence, Les Points sur les i, 2015 Le Lendemain, Villemarie Littérature (Québec), 2015 Nouvelles de Tunisie, Magellan & Cie, 2012 ISBN : 9782380823059 © S. N. Éditions Anne Carrière, Paris, 2023 www.anne-carriere.fr « — Madame, veuillez me suivre. Elle eut une courte révolte. — Mais pourquoi, monsieur ? — Veuillez me suivre, madame, répéta l’inspecteur, sans élever le ton. » Émile Zola, Au bonheur des dames, 1883 1« Pourquoi vous volez ? » Le vigile prend un air de profiler, il a tout de suite compris que je n’en étais pas à mon premier vol, malgré mon tremblement de débutante. D’ici, j’étais déjà ressortie avec deux robes sous le bras, une Claudie et une Joseph, une valise aussi, pas le même jour. Et puis des bricoles, du thé, une bougie, quelques cuillers. Son prénom résonne dans le talkie-walkie : c’est drôle, il s’appelle Virgile. « Virgile le vigile », ça me rappelle le titre des albums de mes petits : Patouch la mouche, Chloé l’araignée, Loulou le pou… J’ai envie de lui demander d’où il vient, sans doute des îles. C’est vaste, les îles, aussi imprécis que « les Arabes ». Ils disent que les Arabes sont des voleurs, mais je ne suis pas complètement arabe, je suis libanaise, chrétienne, phénicienne… Enfin, l’arabe, c’est quand même ma langue maternelle. Oh, mes pauvres parents, si vous saviez ! Je vois bien que je ne suis pas près de sortir de là, mais ça ne me déplaît pas d’être prisonnière, ivre d’angoisse, loin des petits tracas du quotidien. On s’excite comme on peut, non ? Je téléphone à Rada, surnommée « la Roumaine du rez-de-chaussée » par le voisinage. C’est mon amie au foulard noir. Maigre, édentée, cheveux de soie poivre et sel, elle a récupéré la loge de la gardienne contre divers services adaptés à son âge. Heureusement, elle peut aller récupérer Dina et Charbel à l’école, elle a fini ses retouches. Dan n’est pas là, il est en séminaire pharmaceutique, c’est presque dommage, je n’aurai pas d’excuse à inventer. Le géant, debout, tient encore mon sac en cuir, il me l’a littéralement arraché des mains. Je ne sais pas encore ce que je risque, ni ce qui m’a pris. C’est la première fois que je tente de dérober un objet d’une manière aussi désinvolte : à part une petite paire de ciseaux oubliée au fond de ma poche – elle m’avait servi à couper un épi sur la tête de Charbel dans le bus le matin même –, je n’avais pas vraiment de matériel sur moi pour espérer venir à bout de l’antivol. Il allait sonner très fort au portique, et je n’allais certainement pas me volatiliser sur le trottoir sombre de la sortie arrière que j’avais empruntée, les voitures roulaient trop près, trop vite. Tout ça, je le savais, alors à quoi avais-je voulu jouer ? Au gendarme et au voleur, au risque de rater la sortie d’école ? Je ne suis pas une voleuse professionnelle, je suis une voleuse compulsive. Je me déroute, je me gonfle, je sens les brûleurs de la montgolfière dans un mouvement fou, je mets les voiles, je visite l’extase, j’approche la plénitude de l’aurore pure. Puis je retombe, jambes flasques, sur le pavé. Je me fais du mal, et parfois j’en fais aussi aux autres qui assistent au spectacle, convoqués en rang dans ma tête. Je culpabilise face à ces mères qui volent, elles, pour nourrir leurs oisillons. La cambrure du bocal de raviolis, c’est pas l’étui du rouge à lèvres, ça ne doit pas procurer la même sensation quand on l’empoigne. « Vous n’avez rien pris d’autre ? » Je hausse les épaules, puis lui tends mon manteau. « Fouillez si vous voulez ! » Je me lève pour retourner les poches de mon pantalon, je ricane : « En plus, elles sont trouées ! » Il ne cille pas. À la radio, Petite Marie, de Francis Cabrel, « Moi, mes poches sont vides et mes yeux pleurent de froid », je fais seule les frais du comique de la situation. Pourtant, je ne suis pas si sûre de moi, parfois je prends et puis j’oublie, des trésors restent enfouis des semaines tout contre moi sans que je les sente. La femme de ménage me sermonne : « Il faut bien palper et secouer, madame, avant de mettre les vêtements dans la machine. Regardez ce que j’ai encore trouvé dans vos pantalons ! C’est dommage, de si belles boucles d’oreilles ! » Penchée, je délace mes bottines, mais il m’arrête d’un geste absurde, on dirait qu’il balaie une odeur sous son nez. J’ai envie de lui demander pourquoi il ne lâche pas le sac, a-t-il oublié qu’il le tenait toujours ? Virgile, il sent bon le musc, il sent bon le bien, le savon qui frotte. « Vous en faites quoi, après ? Vous vendez ? » Je le regarde, surprise. Vendre, je n’y avais jamais pensé. EBay, Vinted… Une organisation terrible ! Et puis, pour un tel sac, porté par de nombreuses célébrités, j’imagine qu’il faut pouvoir produire une facture, un certificat d’authenticité, tout un casse-tête. Parfois j’offre, je donne, ça m’arrive oui, souvent même. Je réponds mollement : « Usage récréatif. » Je me corrige : « Usage personnel, plutôt, vous allez marquer ça quelque part ? » Le temps passe, j’entends là-haut la voix enregistrée qui dit à tout le monde de passer à la caisse (en plus poli). Les employés n’en peuvent plus, la