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L'acceptation

Author/Uploaded by Solange Bied-Charreton


 
 
 
 Couverture Le Petit AtelierPhotographie de couverture © Evelina Kremsdorf / Trevillion Images © Éditions Stock, 2023 ISBN : 978-2-2340-8273-1 www.editions-stock.fr DE LA MÊME AUTRICE Enjoy, Stock, 2012 Nous sommes jeunes et fiers, Stock, 2014 Les Visages pâles, Stock, 2016 Paris sous la terre. Pérégrinations dans le métro parisien, Le Rocher, 2021 Pour A., pour J. En mémoir...

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 Couverture Le Petit AtelierPhotographie de couverture © Evelina Kremsdorf / Trevillion Images © Éditions Stock, 2023 ISBN : 978-2-2340-8273-1 www.editions-stock.fr DE LA MÊME AUTRICE Enjoy, Stock, 2012 Nous sommes jeunes et fiers, Stock, 2014 Les Visages pâles, Stock, 2016 Paris sous la terre. Pérégrinations dans le métro parisien, Le Rocher, 2021 Pour A., pour J. En mémoire de Charlotte Grasset « Meurent les biens, Meurent les parents, Et toi, tu mourras de même ; Mais je sais une chose Qui jamais ne meurt : Le jugement porté sur chaque mort. » « Hávamál », Edda poétique (trad. Régis Boyer) C’étaient des mots à la fois émotifs et abstraits L’homme au sac à dos Je ne me rappelle pas le nom de l’autrice. Elle livrait de son roman une lecture accidentée à un auditoire endormi dans une librairie de Belleville, c’était dans la première quinzaine du mois de décembre 2015. Il y avait des guirlandes en devanture et une sélection de cadeaux, une certaine convivialité à laquelle on ne pouvait déroger, mais la fille ne jouait pas le jeu. Elle lisait vite, sans nous accorder d’importance. Laurence m’avait traînée à cette présentation et, puisque j’habitais la rue d’en face, côté XIXe – la rue de Belleville scinde l’ancien village du même nom en deux arrondissements, le XIXe et le XXe –, je n’avais pas d’excuses pour m’épargner le spectacle navrant du récit de cette séparation, récit de ce qui est toujours à la fois unique et tellement ordinaire, sans que l’insignifiance d’un tel échec console ou revigore. Ça parlait de nous, de nous tous, pour nous, pour tout le monde, ça parlait d’un homme et d’une femme au début du xxie siècle qui s’aimaient puis se désaimaient, dans un contexte métropolitain, « dans une époque où les certitudes et les identités se diluent, où les repères n’en sont pas », précisait la quatrième de couverture. Clairement, la romancière tranchait avec l’esprit de Noël. Et puis, elle insistait pour dire qu’elle était « une survivante », cela avait pesé sur son lamento. Par deux fois, elle avait précisé l’intitulé de son ethos au libraire pénitent et je ne m’en voulais pas de la trouver ridicule. Le caractère inamovible de la vertu de survie, qu’on avait décidé d’adapter, de travestir, capitulait dans une époque où les certitudes et les identités se diluaient, où les repères n’en étaient plus. Il était là, debout : égaré dans les rayons, il regardait en l’air, comme s’il s’apprêtait à dénicher une référence précise dans un océan de confusion. Lui, il n’écoutait pas ce qui se passait ici ; ça ne l’intéressait pas du tout, ce que l’on racontait là sur la rupture amoureuse. Et tandis que l’autrice décrivait des paysages de souffrance déclinables en strates, fondant un paysage de sédiments psychiques, il était tout à son affaire, dans le fond à gauche, désagrégé du reste. Son visage était traversé par une expression d’indolence. Il prenait son temps ou il prenait de la distance, il prenait le monde à distance. Il semblait à la fois efficace et spéculatif. Il avait capté mon attention. La voix monocorde de l’autrice s’estompait lentement au profit de cette vision d’un homme retiré dans une posture d’étonnement face à des êtres inanimés, du papier et du carton (des livres), et du bois (des étagères), les noms sur la tranche des livres, le classement alphabétique sur les étagères. Il portait une veste en velours côtelé pleine de poches et couleur crème. J’avais longtemps possédé une veste semblable à la sienne et j’avais regretté de l’avoir perdue. Sans le vouloir, il instaurait une proximité entre nous, faisait surgir un sentiment de nostalgie. C’était une intimité, dans laquelle je l’avais embarqué et dont les effets m’apaisaient ; elle ne reposait sur rien qu’il pût déduire, il en était le passager involontaire. Dans son dos, un sac de voyage Samsonite était bardé d’étiquettes aéroportuaires qu’il n’avait pas pris soin de décoller. Elles s’enroulaient autour de courroies et de bretelles, un assemblage complexe comme les harnais d’une caravane. Ces ornements, c’était la route qu’il traçait. En aveugle, il allait, sillonnant un désert de fortune parsemé de nos existences atones. C’était un voyageur, nous n’étions que son escale. Il s’en irait sans doute sans prêter attention. Il y avait des codes-barres effacés par le temps, des lettres capitales sur ces bouts de papier, une procession de destinations qu’il maintenait sur lui comme des grigris, indiquant par abréviations des toponymes sans qu’on les distingue. On ne savait pas d’où il venait, qui il était. Au moment où la romancière repassa le micro au libraire, sa lecture terminée – lecture qui m’avait perdue disséminée et, finalement, portée vers l’ailleurs –, un drôle de vacarme retentit dans le fond à droite. Des dizaines d’ouvrages avaient chu tout autour de l’homme au sac à dos et il s’était accroupi pour les ramasser. En me levant de ma chaise pour lui venir en aide, je constatai que le public gardait les yeux rivés vers la scène. Avais-je été la seule à entendre tomber les livres, à assister à cela, ou même à me rendre compte de la présence de ce type dans le fond de la librairie ? Et j’avais consenti à le rejoindre dans son chaos sans me poser la moindre question, je m’étais sentie appelée, non pour résoudre son problème, mais de la manière dont on prend en charge ses propres bagages, comme on guette avidement leur arrivée sur le tapis roulant à l’aéroport, avant de les identifier dans un rictus de soulagement, de s’en saisir et de les emporter avec soi dans un nouveau pays. Je lui ai tendu des livres et il m’a remerciée. Il a dit « merci » à voix basse. À cet instant, je n’ai pas pu me rendre compte qu’il s’exprimait avec un fort accent étranger ; je n’ai pu l’entendre prononcer les mots français en roulant les R, avec son accent magnifique, qu’après, lorsque la convention théâtrale s’est abolie autour de

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