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Author/Uploaded by Guillaume Poix

guillaume poix star roman verticales Pour Mijane, Dominique, Géraldine et Gabrielle Il y a quelques années, à l’époque où je me destinais à être comédien, j’ai appris l’existence d’un certain Ariel Winthrop, acteur et réalisateur américain dont je ne connaissais rien. Cette découverte a changé le cours de ma vie. 1. « Jouer ne consiste pas, malgré ce qui persiste à se dire, à rester naturel. Joue...

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guillaume poix star roman verticales Pour Mijane, Dominique, Géraldine et Gabrielle Il y a quelques années, à l’époque où je me destinais à être comédien, j’ai appris l’existence d’un certain Ariel Winthrop, acteur et réalisateur américain dont je ne connaissais rien. Cette découverte a changé le cours de ma vie. 1. « Jouer ne consiste pas, malgré ce qui persiste à se dire, à rester naturel. Jouer, c’est l’art d’endosser le fardeau de la vérité et les limites dues au fait d’être quelqu’un d’autre. » Steve Tesich, Karoo Tout a commencé à Paris, en 2007. Cette année-là, j’avais réussi à m’incruster, comme stagiaire, sur le tournage d’un film qui se déroulait dans un appartement haussmannien, boulevard Raspail. J’y arrivai, un jour de fin d’été, quelques semaines avant que les prises de vues ne débutent. Un peu partout des gens s’affairaient, on tirait des câbles électriques, on stockait des projecteurs et tout un tas de machines dont j’ignorais la fonction, on consultait des tableurs Excel punaisés aux murs, des plannings, on passait des coups de téléphone, on s’affolait, on riait, on s’interpellait. On bossait. À la première assistante qui m’accueillit, élégante femme à la voix cendrée, j’expliquai qui j’étais. Elle me jaugea, mon air juvénile devait lui inspirer méfiance ou pitié (ou les deux). Je bafouillai, rougis, finalement réussis à l’informer que je venais pour aider, c’était prévu, la réalisatrice était au courant. Elle me demanda d’attendre dans un coin de l’appar­tement que celle-ci arrive et veuille bien m’accorder quel­­ques secondes d’un temps, je devais pouvoir me l’imagi­ner, particulièrement rare et, de ce fait, extrêmement précieux. Je m’assis donc sur une chaise de la monumentale entrée, tentant de me trouver une contenance, de paraître éclairé, regard concentré sur l’environnement proche et lointain comme si moi aussi j’en étais, et je repensai à ce mot de je ne sais quel acteur, Noiret, Trintignant ou Piccoli, va savoir : « Si tu veux faire du cinéma, trouve-toi une chaise. » Bien sûr que je voulais faire du cinéma. Je n’entendais pas rester stagiaire. J’avais un plan. J’allais inopinément apparaître dans la nudité de mon être exceptionnel. J’allais me faire repérer. Ainsi, quand la cinéaste arriverait, je me lèverais, elle tournerait la tête vers moi, marquerait un temps d’arrêt (stupeur oblige), je ferais semblant de ne rien noter, exagérant mon naturel, elle me regarderait comme on contemple un phénomène, m’imaginerait instantanément dans son cadre et, sans plus de détour, me proposerait un rôle. J’enchaînerais alors les tournages puis les couvertures de magazines. Hollywood m’appellerait. Je serais le nouveau visage de Saint Laurent, Dior ou Vuitton, le Frenchy que tout le monde s’arrache. Je deviendrais le plus jeune acteur français à décrocher un César et, à l’étranger, un Oscar, un Bafta, un Goya. Désormais bankable, j’achèterais un appartement dans le voisinage, plus vaste encore que celui-ci, et une villa sur la Côte d’Azur. Je ferais une fleur promotionnelle à des palaces opportunément situés aux Maldives, aux Seychelles ou sur l’île Maurice en venant m’y reposer entre deux films. Je laisserais leur community manager me photographier abandonné sur un transat face au cristal de la mer. Entre mes mains, sésame, le scénario du prochain Campion ou Scorsese dont je tiendrais, bien entendu, le rôle-titre. Mon visage et mon corps, ma voix, même, un temps raillée pour ses tonalités de palmipède, puis finalement révérée comme ce petit truc spécial n’appartenant qu’à moi, seraient glorifiés. Je m’afficherais sur les écrans écocides de toutes les plus grandes villes de la planète, les murs des chambres miteuses ou moulurées, les couvertures d’agendas scolaires serrés contre leur cœur par des adolescents mélancoliques, les cartes postales en noir et blanc vendues sur les quais de Seine. Je recevrais sans cesse des sacs contenant des offrandes – vêtements, parfums, bijoux ou montres de luxe. Je ne m’appartiendrais plus. On se souviendrait de moi. Et je n’aurais plus qu’à repenser dans l’allégresse à cet instant où, assis sur cette chaise inconfortable, dans l’entrée de cet opulent appartement, j’avais vu très précisément ce qui allait m’arriver – cet instant où j’avais senti que la gloire était là, à la portée du regard d’une femme, soulagé de constater que j’avais fait le plus dur puisque je m’étais trouvé une chaise. La réalisatrice arriva enfin. Je me redressai, tentai d’élargir mes pectoraux pour avoir l’air musclé, pas trop droit, un peu avachi, coude posé sur la cuisse, tête orientée vers le bas, regard dirigé vers le haut – la manœuvre était complexe. Je commençai par plisser les yeux pour avoir l’air sensuel avant de les écarquiller à nouveau de peur de n’avoir l’air que myope. Entre elle et moi, plusieurs embûches. On la sollicitait, elle devait donner des réponses à la volée. Elle avait ralenti le pas. J’eus l’impression qu’elle m’avait vu, j’allai pour me lever plus franchement, mais elle recula soudain et s’éclipsa dans une autre pièce. J’avais donc eu ce ridicule mouvement de suspension – fesses rebondissant comme lorsque, dans une salle d’attente, après qu’une voix lasse a écorché votre nom pour vous convoquer, vous vous dépliez tout en ayant un doute (était-ce bien moi ?) et restez en position de défécation la seconde de trop, toute votre dignité, déjà mise à mal par la situation médicale ou administrative, tombe tel un étron dans le fond d’une cuvette immaculée. Elle reparut heureusement. J’eus à peine le temps de me repositionner sur la chaise, déjà je me relevais, cette fois comme un piquet. J’affectai un sourire pincé puis tournai prestement la tête sur le côté où trônait un immense miroir au mercure – je me vis alors, il n’en fallut pas davantage pour déclencher une suée. Je n’étais vraiment rien, et un rien qui perlait et luisait par-dessus le marché. Je revins à la réalisatrice et constatai qu’elle s’était ­rapprochée à la vitesse d’une comète, elle était face à moi désormais. Elle cligna des yeux, plusieurs fois, tout en me souriant. Elle semblait très avenante et je compris vite que ses clignements ne témoignaient d’aucune incrédulité,

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