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Sweet chaos

Author/Uploaded by Meryem Alaoui

Meryem Alaoui MERYEM ALAOUI Sweet chaos SWEET CHAOS roman GALLIMARD Deux hautes fenêtres à guillotine oblongues séparées par des tableaux russes dans lesquels s’observaient avec curiosité deux jeunes femmes en pelisse et en relief, l’une jaune sertie de perles vertes et l’autre bleu pâle. Sous leur conversation muette, un lit queen size dormait paisiblement. Assise sur le rebord caramel de la fen...

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Meryem Alaoui MERYEM ALAOUI Sweet chaos SWEET CHAOS roman GALLIMARD Deux hautes fenêtres à guillotine oblongues séparées par des tableaux russes dans lesquels s’observaient avec curiosité deux jeunes femmes en pelisse et en relief, l’une jaune sertie de perles vertes et l’autre bleu pâle. Sous leur conversation muette, un lit queen size dormait paisiblement. Assise sur le rebord caramel de la fenêtre de gauche, pieds sur la couette, Riley regardait au travers de la vitre. Le bout de son nez flottait dans le carreau comme les minuscules flocons dans le branchage du platane en face d’elle. Au printemps, se demandant jusqu’où il allait, elle avait levé la tête pour constater qu’il dépassait largement en hauteur les trois étages de l’immeuble. Ce jour-là, le ciel était bleu et le foisonnement fluorescent aux allures de vignes de l’arbre lui avait donné envie d’y enfoncer la bouche comme dans de la barbe à papa. Les saisons avaient apparemment eu la même idée qu’elle car il ne restait maintenant de la friandise généreuse qu’une sorcière sèche dont le tronc et les branches dessinaient un enchevêtrement de veines anthracite dans la fenêtre. Un décor de fin du monde que les yeux de Riley traversèrent négligemment. Cela faisait plusieurs semaines que l’arbre était sinistre. Sur le trottoir d’en face, la masse difforme et pressée d’une mère et sa poussette passa. On aurait dit Elliot poussant E.T., les amas de neige de la semaine précédente empêchant leur vélo de décoller et leurs silhouettes de finir, plus tard, dans la lune. La jeune femme longea le parking du Bishop Boardman Apartments, une résidence pour personnes âgées. Quelques voitures décolorées par le froid y dormaient ainsi qu’un camion de livraison blanc frappé d’un énorme bonhomme bleu au visage jaune de pain heureux : Terrace Bagel, plus qu’un simple bagel ! Le fourgon ne bougeait jamais de sa place ou alors trop tôt ou trop tard pour que quiconque puisse s’en apercevoir. Derrière le parking, un potager dans lequel les petits vieux de la résidence, des Asiatiques exclusivement, faisaient habituellement leurs exercices. Ils s’étiraient, exécutaient des petits bonds sur place ou tapotaient leurs bras, leurs reins et leurs jambes de leurs poings : tai-chi ou qi gong probablement. Contrairement à ce qu’on voyait dans les reportages télévisés, ces vieux-là n’étaient jamais en groupe. Mais ce n’était pas là leur heure et puis, il faisait trop froid. Si froid que dans l’arrière-plan délavé, le haut mur beige du potager se confondait avec ceux, affadis par le ciel, des Townhouses rouges et ocre habituellement vifs qui nommaient le lieu : Brooklyn. Sans que Riley ne sache ni ne se demande pourquoi, une vision se juxtaposa à ce décor : celle de la boîte rectangulaire en cuir émeraude, fermoir rond cuivré, qu’elle avait vue surgir quelques semaines plus tôt lors de la fête d’anniversaire de son voisin du dessous. Visage pâle, barbe clairsemée de moins de trois jours, perpétuelles poches sous les yeux, Ethan Brown habitait au deuxième étage de l’immeuble – porte de gauche – et était réputé pour ses soirées. Évidemment qu’il l’était ! La collection de dragées pastel, de poudres blanches, d’herbes, de résine, de sprays, de petits buvards aux motifs rigolos et bigarrés de son voisin aurait ramené n’importe quel adulte à l’enthousiasme de ses cinq ans. Cinq ans pile, le jour où il entre dans un magasin de bonbons, sa main lâchant précipitamment celle de sa mère et les yeux courant aussi vite que les jambes le long des énormes tubes comme des gratte-ciel accrochés aux murs, débordant de confiseries de toutes les couleurs : Regarde, Maman, regarde ! Je veux ça, je veux ça ! Non, ça. Ou plutôt ça ! Mère laxiste, Ethan l’aurait certainement été dans une autre vie. Dans celle-ci, il se contentait de l’incarner dans l’étincelle qu’allumait l’ouverture de la boîte verte dans les pupilles de ses amis et qui faisait de lui le gardien d’un monde merveilleux. Agenouillé devant la table basse de son salon dans son éternel costume – jean et T-shirt noirs, chaussettes dépareillées, mains caressant le cuir ouvert, son regard bienveillant adouci par les substances qu’il avait déjà consommées, Dieu seul savait lesquelles, disait : Sers-toi, l’ami, fais-toi plaisir ! Riley aimait bien Ethan. Elle appréciait la combinaison singulière de sa retenue et de son humour. Après une pique, un jeu de mots ou une allusion qui passaient souvent inaperçus, Ethan baissait les yeux pour les pointer vers un fin sourire en apparence angélique. Si à cet instant on avait approché une loupe de son visage, à la commissure de ses lèvres précisément, on aurait pu y voir une ironie microscopique en débardeur Knicks qui y pendait, jambes nues sous son short noir. Le sourire d’Ethan-Mona Lisa était en fait une révérence – pause, appréciez l’instant – pour laisser à ses interlocuteurs le temps de saluer l’esthétique de son geste. Bling ! L’arrivée d’un message brouilla cette image. Riley tourna la tête dans la direction estimée du son et chercha à se rappeler où elle avait posé son téléphone pour économiser ses pas. Mmmm… pas sur la table de nuit en acajou verni, pas sur le bureau gris patiné contre le mur de gauche, ni sur les étagères de la même couleur qui l’encadraient. Pas sur la petite console trouvée dans la rue et qui faisait office de coiffeuse. Peut-être sous les vêtements empilés sur la chaise ? Oui, peut-être… mais non, je l’avais à la main tout à l’heure. Ah ! Elle aperçut la lanière de l’étui en cuir de l’appareil qui dépassait d’un des plis du plaid moutonneux jeté sur l’épais tapis au centre de la chambre, entre le lit et le placard. D’un mouvement mal assuré, elle traversa le matelas et, genou encore sur le lit, se baissa pour s’emparer de l’appareil. Elle appuya sur le bouton rond qui en activait la marche. Pas besoin de cliquer sur le message. Son contenu s’affichait dans sa totalité sur l’écran. Riley se leva pour de bon cette fois

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