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Après moi le désert

Author/Uploaded by Olivier Bodart

BODART APRÈS MOI LE DÉSERT Contraint de dissimuler sa présence dans l’imprimerie désaffectée qu’il vient d’acquérir en Californie, le narrateur finit par perdre tous ses repères. Que fait-il ici au beau milieu du désert de Sonora, dans ce bâtiment vide qui semble habité par des esprits, alors qu’au-dehors sévit la canicule et qu’une épidémie rend complexe tout déplacement ? A force de tourner en...

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BODART APRÈS MOI LE DÉSERT Contraint de dissimuler sa présence dans l’imprimerie désaffectée qu’il vient d’acquérir en Californie, le narrateur finit par perdre tous ses repères. Que fait-il ici au beau milieu du désert de Sonora, dans ce bâtiment vide qui semble habité par des esprits, alors qu’au-dehors sévit la canicule et qu’une épidémie rend complexe tout déplacement ? A force de tourner en rond, notre homme décide de s’aventurer dans l’immensité du paysage. Chemin faisant, il fera d’étranges rencontres : le spectre d’un policier rongé par la culpabilité dont il imagine la part biographique manquante, le mythique campement de Slab City, où survivent des hommes et des femmes s’étant affranchi des diktats sociaux, une ville fantôme dotée d’un monument célébrant la mémoire de l’humanité… Roman de l’effacement, tour à tour absurde, cocasse et poignant, Après moi le désert nous offre, à travers les errements d’un homme avide d’évasion, le portrait troublant d’une certaine Amérique anonyme et celui, encore plus troublant, d’un homme que la réalité semble abandonner peu à peu et qui s’en remet à son imagination pour ne pas sombrer tout à fait dans d’inquiétants limbes désertiques. Né en 1971, Olivier Bodart est auteur et artiste plasticien. Il a enseigné la littérature et les arts visuels en France et aux États-Unis. Il a vécu à Los Angeles, dans le désert de Sonora et à Chicago, où il a été pendant sept ans chef de département des Arts du Lycée Français. Il partage maintenant son temps entre la France et le Canada. Il est l’auteur d’un premier roman, Zones à risques, publié aux Éditions Inculte en 2021. Photographie de couverture : © Laura Henno WWW. INCULTE. FR © inculte, 2023 éditions inculte, 2023 62, rue du Faubourg-Saint-Antoine 75012 Paris ISBN : 978-2-36084-195-0 Correction et composition : Aurélie Carpentier Couverture : Rémi Pépin Distribution : UD Diffusion : Actes Sud Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako www.isako.com à partir de l’édition papier du même ouvrage OLIVIER BODART APRÈS MOI LE DÉSERT éditions inculte Pour Kirsten C’est ici qu’entre en scène la Californie. Glissements de terrain, incendies de forêts, éboulements côtiers, tremblements de terre, assassinats collectifs, etc. Nous pouvons nous détendre et jouir de ces désastres parce qu’au fond de nos cœurs nous sentons que la Californie a mérité ce qui lui arrive. N’est-ce pas les Californiens qui ont introduit l’idée de « life style » ? Cela seul les condamne. Don DeLillo, Bruit de fond PREMIÈRE PARTIE MARBRE Dimanche 29 mars 2020 1 Ils avaient pour mission de nous comptabiliser tous les dix ans, mais au moment de relancer l’opération en cette décennie naissante, leurs statistiques étaient déjà faussées, car un nombre anormalement élevé de citoyens recensés depuis le 1er janvier n’étaient plus de ce monde. Pour ma part, je n’étais pas encore mort, mais je devais faire comme si. L’individu, derrière la porte, frappa à nouveau quelques coups. « J’aimerais pourtant compter », m’entendis-je articuler malgré moi, alors que j’étais seul dans ce bâtiment depuis plus d’une semaine. Ça aurait été une première pour moi, si je n’avais pas été obligé de me cacher. Je ne vivais dans ce pays que depuis huit ans. « Soyez comptés », pouvais-je lire chaque fois en haut du même prospectus du Census 20201 qu’ils déposaient devant la porte. Sur la photo, on voyait une jeune femme en chemise à carreaux, style hipster de l’Oregon, elle souriait comme si la chance lui était tombée dessus, celle d’avoir été comptée. J’étais enfermé depuis neuf jours exactement. Après avoir atterri à l’aéroport local dont la taille et la forme architecturale étaient proches de celles d’une aire d’autoroute, j’étais passé à la boutique UPS du centre-ville pour récupérer les clés de cette bâtisse dont nous étions maintenant les propriétaires. Mon nom avait été enlevé récemment de l’acte d’acquisition, mais il y serait remis dès que je serais autorisé à l’écrire à nouveau. Je plaquai mon dos contre le mur près de la porte d’entrée, sans déborder du cadre pour ne pas apparaître à travers la vitre fumée. Je me laissai glisser vers le sol en essayant de ne faire aucun bruit. Je connaissais par cœur le formulaire en ligne auquel renvoyait le prospectus. Question 1 - Combien de personnes vivront ou résideront dans cette maison ou cet appartement ou mobil-home au 1er avril 2020 ? Nombre de personnes La réponse aurait dû être « 2 ». Mais ma compagne n’était toujours pas là. Quant à moi, je comptais pour du beurre. Nous n’avions, de toute façon, nullement l’intention de remplir ces cases, même s’il s’agissait d’une procédure obligatoire. Passé l’aspect faussement cool du flyer qui montrait cette fille souriante, on découvrait un peu plus bas que la campagne de recensement organisée par le gouvernement américain était un acte citoyen incontournable. Si nous n’y répondions pas sous deux mois, les services concernés dépêcheraient un agent directement sur le seuil de notre logement. Il leur fallait 100 % de participation. Les coups résonnèrent encore une fois contre la porte vitrée. J’avais pour habitude de compter jusqu’à cent avant de me remettre à bouger. Pour deux raisons. La première était que cent secondes constituaient le laps de temps nécessaire pour que l’agent finisse par quitter les lieux. Il venait environ tous les deux jours et je connaissais sa manière de procéder. Il suivait sans doute un protocole préétabli. Il savait bien que quelqu’un se trouvait dans la maison, car ma voiture de location était garée sur le parking et on pouvait probablement apercevoir ma silhouette à travers la porte ou les fenêtres quand on s’en approchait. Mais l’agent avait des instructions précises et

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