Comme il faut

COMME IL FAUT Benjamin Audoye Contents COMME IL FAUT 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 Épilogue Books By This Author 1 Les soupirs de jouissance leur imposaient encore, vingt ans après, d’éviter le regard de l’autre, surtout après un orgasme mutuel. François ne rêvait que d’une douche, la troisième en ce 15 juillet. Il se sentait souillé par ce liquide lait d’avoine, âpre et abondant chez son mari, qui tachait son buste. Ahmed, au contraire, voulait étendre les îlots çà et là par de douces caresses, se blottir affectueusement et humer cette odeur de coït. Un amour de vingt ans imposait des compromis : François s’allongeait pour accueillir la tête d’Ahmed sur son torse pour quelques minutes. Puis il se libérait de son étreinte par une contraction du trapèze. Ahmed ne montrait plus sa déception et se consolait en suivant du regard ces jambes galbées, ces fesses fermes, ce dos sec et cette nuque toujours parfumée, soutenant une coupe de cheveux contrôlée. « Il est encore plus beau avec ses cheveux gris », aimait-il à se répéter. Beau, François, il l’était. Il prenait soin de lui, il s’adonnait au yoga une fois par semaine, il nageait le samedi, il courait le dimanche et il circulait à VTT dans la garrigue après le travail. Il administrait treize classes d’école primaire, sans compter les parents pénibles. Il préservait la planète : la Terre se porterait mieux si les Terriens mangeaient végétarien comme lui. À la cantine, il avait obtenu un jour sans viande pour tous. Ce soir de mi-juillet, Ahmed se cala contre les hauts coussins bleu roi, imaginant son mari sous la douche, le jet d’eau couler contre la vitre ou son corps. Il aurait bien savouré une cigarette dans cette chambre aux tons gris-bleu, une décoration masculine qu’il n’avait en rien décidée. Il ne fumait plus depuis vingt ans, depuis leur premier appartement. Ce 2 Comme tous les matins, à sept heures trente, le réveil miaula et gratta derrière la porte. Impossible de l’éteindre, même le week-end. La Vieille, c’était la chatte européenne tigrée d’Ahmed, depuis que cette vilaine truffe avait traversé la haie du jardin. Ahmed n’avait toujours pas dit s’il fallait la garder ou pas, rétif à toute prise de décision. Il avait certainement fermé la porte pour respecter le sommeil de son homme avant le grand voyage, mais la Vieille s’en moquait. François enfila une robe de chambre et laissa la chatte entrer. Elle plissa ses yeux noisette et lança un coup de tête vers le salon. François obéit et se dirigea vers la gamelle : pleine à ras bord, de façon que le ventre du chat tombât davantage sur le sol. Il leva les yeux au ciel et traîna des pieds jusqu’à l’îlot de la cuisine américaine. Il sourit en voyant un jus d’orange pressé, du pain à griller et de la confiture d’oranges amères. Un couinement lui parvint à sa gauche. Un Jack Russel, aux couleurs réparties à la tête et à la base de la queue, signe de perfection, appuyait ses deux pattes contre la baie vitrée. – Qu’est-ce que tu fais là, mon chien ? François fit coulisser la porte. Pushkar remua la queue et adopta une posture révérencielle ; les honoraires du dresseur valaient la peine. François ne comprit pas pourquoi Ahmed n’avait pas pris le chien avec lui, comme à chaque footing dans la garrigue. Il ouvrit l’armoire à chaussures de l’entrée. Les chaussures de course à pied d’Ahmed n’étaient pas à leur place. François lâcha un soupir mi-agacé, mi-soulagé. Pushkar reniflait déjà dans la gamelle de la Vieille, qui luttait contre un post-it collé à ses coussinets, près