Author/Uploaded by Fanny Ruwet; Fanny Ruwet
Contents Couverture Présentation Copyright Titre Exergue Texte Remerciements Achevé Points de repère Couverture © L’Iconoclaste, Paris, 2023 Tous droits réservés pour tous pays. L’Iconoclaste, 26, rue Jacob, 75006 Paris Tél. : 01 42 17 47 80 [email protected] www.editions-iconoclaste.fr If you must die, sweetheart Die knowing your life was my life’s best part Keaton Henson Ring...
Contents Couverture Présentation Copyright Titre Exergue Texte Remerciements Achevé Points de repère Couverture © L’Iconoclaste, Paris, 2023 Tous droits réservés pour tous pays. L’Iconoclaste, 26, rue Jacob, 75006 Paris Tél. : 01 42 17 47 80 [email protected] www.editions-iconoclaste.fr If you must die, sweetheart Die knowing your life was my life’s best part Keaton Henson Ring ding ding ding ding ding Ring ding ding ding bem bem bem Ring ding ding ding ding ding Ring ding ding ding baa baa Crazy Frog On s’est rencontrés en 2009. J’avais 15 ans, Nour en avait 16. Pendant plusieurs mois, il a été ma raison de me lever chaque matin. Il m’a apporté de la douceur quand tout semblait rugueux et m’a laissée croire que j’avais une place à moi. Il m’a permis de sortir d’un gouffre sans fond dont je ne pensais jamais pouvoir m’extirper. Douze ans plus tard, je ne suis même pas certaine qu’il ait existé. Peut-être qu’il est toujours quelque part en banlieue de Montpellier. Ou peut-être qu’il n’y a jamais mis les pieds, qu’il m’a menti sur toute la ligne. D’ailleurs, peut-être que Nour n’était même pas son prénom. Ou peut-être qu’il est mort. Les gens ont tendance à faire ça. Je n’en sais rien. Mais j’ai passé plusieurs mois à le chercher. Et plus j’ai trouvé, moins j’ai compris. Fin juin 2021. C’est le début de l’été, les jours sont longs et vides. À côté de chez moi, la cloche d’une école primaire continue de sonner à blanc, sans aucun enfant pour s’en réjouir. Je tourne en rond. C’est la saison du nihilisme. Un long gouffre moite qui m’avale à la fin du mois pour me recracher en septembre, soulagée que la vie reprenne, mais rongée par la culpabilité de n’avoir rien fait. Forcément, c’était le pire moment pour rompre. En quittant Alexandre, je savais très bien que j’allais passer un horrible été, mais je ne pouvais pas lui dire : « Attends, on tient encore un peu, on mérite une séparation sans auréoles sur nos t-shirts. Je ne veux pas t’embrasser pour la dernière fois en puant, Alexandre. N’insiste pas. » J’ai donc pris mon courage à deux mains, emballé mes quelques affaires et trouvé un appartement à Saint-Gilles, la plus petite commune de Bruxelles, où je me retrouvais pour la première fois sans conjoint ni colocataire. Emménager seule m’a appris plusieurs choses. Premièrement, que c’est quand même sacrément chouette de pouvoir se masturber dans toutes les pièces. Secondement, que tout dans notre ancien appartement appartenait à Alexandre. Ce n’est pas un problème en soi, mais j’aurais préféré m’en rendre compte avant de me retrouver assise par terre au milieu de mes trois pièces en enfilade seulement meublées d’un lit, de deux bibliothèques et de chaises aussi bancales que ma vie. Ce n’est qu’au bout de trois semaines que j’ai fini par commander une table (pour manger) et un canapé (pour me masturber dans le salon), plus pour éviter le jugement de mes amis que pour mon propre confort. L’autre jour, ma pote Lisa est passée me voir et, à peine arrivée, elle m’a dit que mon appartement était comme moi : vide et froid (et « on y entre comme dans un moulin »). C’est vrai que l’absence de décoration et de photos donne l’impression qu’à tout moment je peux péter un câble et décharger un flingue dans une école primaire. Heureusement, c’est les vacances. Lisa est une des seules personnes que j’ai vues, récemment. Il m’arrive régulièrement de disparaître des radars pendant quelque temps, jusqu’à ce que j’émerge de ma léthargie. Je reprends contact avec mes amis d’un très classe : « Hey, sorry, j’étais un peu à côté de la plaque ces derniers temps. On se capte bientôt ? » Ce soir, j’ai prévu de voir Max. On a pris l’habitude d’aller tous les mois manger une flammekueche place Van Meenen, comme deux bons hipsters que nous sommes, avec nos totebags New Yorker et nos dégaines de fans d’Arctic Monkeys. Mais en cette fin juin, c’est le week-end de la fête de la Musique, et Max veut troquer notre tarte flambée mensuelle contre un concert de ses potes de Forêt Noire, un groupe de transe-rock1. On s’est donné rendez-vous place Janson, point de ralliement des bobos en été et des toxicos en hiver. Selon les périodes, je fais partie d’un groupe ou de l’autre. Parfois même des deux en même temps, quand je stocke mon cannabis dans des bocaux en verre. Le concert bat son plein quand j’arrive. La performance est étrangement intense vu le contexte, puisqu’il fait encore clair, que la scène est minuscule et que parmi les 100 personnes du public, 80 sont là pour les bières locales et 18 sont des enfants2. Coiffés de leurs casques anti-bruit, les gamins crapahutent au milieu de la foule comme des mouchettes sur des fruits trop mûrs. Malgré cette atmosphère de Club Med gentrifié, les musiciens ont l’air de faire le concert de leur vie et suent des litres par chanson. C’est à la fois beau et triste, cet effort surdimensionné pour un résultat aussi famélique. Maxime est à quelques mètres de la scène, hochant la tête à chaque coup de caisse claire. Je l’ai toujours trouvé très beau. Il a le teint mat et des cheveux noirs assez courts pour avoir l’air propres, mais assez longs pour lui donner un physique de boy-friend Disney Channel. Je me fais souvent la réflexion que sa barbe d’un demi-centimètre est aussi régulière qu’une pelouse de golf (sans les petits drapeaux). On s’est rencontrés à un festival, il y a cinq ans. Aujourd’hui, on peut autant se retrouver pour jouer au foot que pour parler de la Shoah. Il est probablement ce qui se rapproche le plus de mon idéal masculin : calme et doux, mais passionné. Par l’équipe de France, par l’histoire de l’Algérie, par la musique, par Xavier Dupont de Ligonnès (qu’à l’époque de son presque come-back en Écosse nous appelions « Xav », comme s’il