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Classe 22

Author/Uploaded by Ernst Glaeser

Classe 22Première partie – L’orage grondeLe Commandant rougeLe secretLéon SilbersteinSabotageEntracteLa révélationGastonL’enterrementDeuxième partieLa guerreLe revirementPfeifferLa « perme »La mort au champ d’honneurLa faimHomère et AnnaAchevé de numériser Title Page Cover Ernst Glaeser Classe 22 Traduit de l’allemand par Cécile Knoertzer et Joseph Delage Éditions de L’Izoard Première partie – L’...

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Classe 22Première partie – L’orage grondeLe Commandant rougeLe secretLéon SilbersteinSabotageEntracteLa révélationGastonL’enterrementDeuxième partieLa guerreLe revirementPfeifferLa « perme »La mort au champ d’honneurLa faimHomère et AnnaAchevé de numériser Title Page Cover Ernst Glaeser Classe 22 Traduit de l’allemand par Cécile Knoertzer et Joseph Delage Éditions de L’Izoard Première partie – L’orage gronde La Guerre ce sont nos parents Gaston P. Le Commandant rouge — Halte ! À droite alignement ! Numérotez-vous ! — Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf. — Dix ! c’était Ferd. — Onze, c’était moi. — Treize. — Halte ! Le docteur Brosius, professeur de quatrième et, en même temps, maître de gymnastique, passe les élèves en revue. Il avance un peu la tête, son cou rouge, qui dépasse toujours le col raide, s’allonge comme celui d’un perroquet qui voit du sucre ; puis il frappe du pied avec une telle violence qu’il fait jaillir autour de lui le gravier gris bleu de la cour. Son lorgnon branle de façon inquiétante et s’il ne lui tombe pas du nez, ce n’est que grâce à la chaînette d’or qui le retient derrière l’oreille. Les glorieuses balafres qui ornent ses joues commencent à enfler. De toutes les têtes, immobilisées sur les cous raidis, l’une prend une teinte cramoisie. — Silberstein ! Évidemment, c’est Silberstein, David Silberstein et Cie, draps en gros, qui ne sait pas compter jusqu’à douze, sors des rangs ! Et Léon Silberstein, le seul Juif de la classe, se porte en avant. — Au temps ! hurle le docteur Brosius. De quel pied dois-tu partir ? — Du pied gauche… — C’est tout ?… s’écrie Brosius en allongeant au pauvre Silberstein une bourrade qui le rejette dans le rang. — À vos ordres ! à vos ordres. Du pied gauche ! à vos ordres, monsieur le docteur Brosius ! sanglote le petit Léon qui, comme toujours dans de pareils cas cherche à avaler ses larmes. Cette fois tout se passe bien. — Avance ! Ne sais-tu donc pas compter ? Léon se met au « garde à vous », dans l’attitude d’un jeune coq dressé sur ses ergots et fait le salut militaire : — Je me suis trompé… — Trompé ! éclate M. Brosius, pris soudain d’un rire bruyant. Comment peut-on se tromper en comptant ? Oublier son numéro ! Tu as dormi, tu as rêvassé en plein soleil ! — Je me rappelle si difficilement les numéros, murmure Léon en baissant la tête. Et, dans son embarras, il gratte légèrement la terre de son pied gauche. — Tiens-toi tranquille quand je te parle ! Léon sursaute et aussitôt reprend la position du soldat devant son supérieur. Les larmes coulent le long de ses joues ; mais il ne peut, au « garde à vous », les essuyer. Brosius grimace et se balance deux fois sur ses jambes. Il tourne autour du malheureux petit, renifle et dit avec cet accent berlinois qu’il affectait de prendre quand il voulait se moquer de quelqu’un : — Non, certes, tu n’es pas fait pour entrer dans la garde ! Mais, tu aurais peut-être la chance d’être admis comme cavalier de deuxième classe au train des équipages, ajoute-t-il en guise d’encouragement, tandis que des sanglots étouffés secouent Léon dans son attitude militaire. Être bon pour le train équivalait à la pire déchéance pour un gamin de l’an 1914. Brosius tourne trois fois autour de Silberstein dont il raille la maigre silhouette, aux ricanements de toute la classe. Il est vrai que Léon faisait une bien piteuse figure dans son costume marin tout râpé, au plastron toujours de travers, avec ses jambes maigres que terminaient des pieds trop grands, obstinément tournés vers le dehors. D’un mouvement craintif il remontait les épaules, la gauche toujours un peu moins haute que la droite. Son cou était marqué d’une bande noire qui faisait collier ; car Léon n’aimait point à se laver au-delà du visage. Seuls ses yeux étaient beaux et surtout ses cheveux noirs qui luisaient comme de l’agate sombre. Soudain, Brosius branle la tête, se plante de toute sa taille devant nous et nasille : — Petite pierre d’argent[1], qu’est-ce qu’on va faire de toi, si tu n’es pas même capable de compter ? Que dira papa, lui qui tous les jours que Dieu fait, compte, compte sans répit ? Eh bien ? Et M. Brosius se contorsionne, lève la jambe gauche, arrondit le dos, avance son lorgnon jusque sur le bout de son nez et se met à frotter son pouce contre son index comme s’il faisait passer de belles pièces blanches dans sa main creuse. Quelques élèves approuvent d’un rire discret. M. Brosius était connu dans toute la ville pour ses facéties. Les discours qu’il prononçait en sa qualité de président de l’Association nautique, étaient tout farcis de bons mots. Les dames en l’écoutant ne pouvaient refréner leurs rires. Avec cela, Brosius possédait le don d’imiter à la perfection les cris des animaux. Au casino, quand il y avait des représentations d’amateurs – c’étaient le plus souvent des pièces paysannes tyroliennes qu’on y jouait – sa collaboration dans les coulisses était indispensable. Mais, là où il remportait ses succès les plus éclatants, c’était dans les parties de plaisir. Pour amuser les dames, il lui arrivait d’immobiliser jusqu’aux bœufs par son talent à imiter les cris d’animaux. Il jouissait des faveurs de Mlle Hainstadt, la plus riche héritière de notre ville. Il était officier de réserve et avait perdu, en même temps que son innocence, le lisse de ses joues, dans un duel à Heidelberg. Les dames l’appelaient Heini. Le seul de mes camarades qui osait s’abstenir d’approuver en riant les bons mots de Brosius était Ferd de K. Aussi le professeur l’attrapait-il chaque fois qu’une occasion se présentait. Léon Silberstein est toujours debout devant la classe alignée et sanglote sans abandonner son attitude militaire. Ses mains seules remuent comme des oiseaux effarouchés qui ne parviennent pas à s’envoler. Brosius l’examine avec un air de commisération railleuse. L’embarras du

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