Confluence T1 : Ce qui naît des abysses

Couverture Page titre Sylvie Poulain Ce qui naît des abysses Confluence – tome 1 Bragelonne Dédicace À tous les marins de surface, des airs, ou des profondeurs, avec lesquels j’ai eu le bonheur de partager un bout de chemin. À mon père, le premier d’entre eux. Carte Prologue ASS Critias, Atlantique Nord, ouest de la dorsale médio-océanique Susanna Li franchit le seuil du central opérations du Critias, saluée par un garde-à-vous général parfait. Elle répondit d’un hochement de tête et gagna la console vacante qui trônait sur l’estrade de commandement, pendant que les opérateurs retournaient à leurs tâches, sans un mot inutile. Susanna décrocha le cordon neuronal pendu sur la face latérale gauche de son poste, écarta quelques cheveux échappés de sa natte serrée et procéda au branchement sur son implant temporal. Un pictogramme d’attente parasita brièvement son champ visuel, puis la connexion avec le réseau de bord s’établit. Les écrans holographiques de la console dressèrent leur muraille en demi-cercle, affichant un résumé des systèmes du croiseur. Susanna attira à elle la bulle consacrée aux hangars et sélectionna la vidéosurveillance du plus grand des radiers submersibles. Une vingtaine de canonnières Stingray y étaient alignées, caractéristiques avec leur soute en treillis métallique et le mufle aveugle, marqué de l’emblème du trident, qui accueillait l’électronique des senseurs et du pilote automatique. L’embarquement était presque terminé. Les derniers hommes entraient dans le ventre des transports, revêtus de leur impressionnant scaphandre Deepforce. Susanna zooma sur l’un des colosses. Hors de l’eau ils semblaient patauds, exagérément proportionnés avec leurs membres blindés doublés de vérins d’assistance, et le torse massif, sans cou, d’où la tête émergeait à peine, fondue dans la carcasse protectrice. Deepforce était l’aboutissement d’une année entière d’investissement énergétique acharné. Une longue année, où l’ensemble des ressources atlantes avait tendu vers cet unique but : mettre les abysses à leur portée. Une gageure. Mais aujourd’hui, au terme d’une période de tests drastiques et d’une acclimatation à marche forcée pour les troupes, ils étaient prêts. Susanna attendit que la dernière canonnière affiche complet, puis échangea un regard avec la lieutenant en charge des communications et lança le discours qu’elle avait enregistré plus tôt. Elle en articula les paroles à mi-voix pendant que son image s’incrustait dans PREMIÈRE PARTIE Providence Chapitre premier Les militaires se tenaient debout face à face dans la pénombre de la soute, le dos contre le treillis métallique qui leur transmettait la vibration des turbines. Au-delà des parois ajourées de la canonnière et du halo écarlate que l’éclairage tactique diffusait dans l’eau traversant la carlingue, il n’y avait que les ténèbres. Les Stingray voisines se distinguaient à peine, taches rougeâtres habitées de silhouettes immobiles. La force d’assaut fonçait en aveugle selon la programmation du navigateur de bord, dans une course par trois mille mètres de fond remplissant deux objectifs : rassurer les soldats sur la tenue de leur scaphandre à la pression et noyer les échos de leur progression dans les reliefs arrondis de la plaine abyssale. Les turbulences augmentaient depuis que les canonnières étaient passées en formation d’attaque et que les sillages se mêlaient, renvoyés par le fond océanique. Les engins rasaient le sol à quelques mètres de hauteur en soulevant de grands tourbillons vaseux, invisibles dans l’obscurité. À bord de l’un des engins de tête, le premier maître Wolf Douglas se cala dans le fond de son scaphandre pour mieux supporter l’attente. Il essaya de se détendre et passa en revue les pictogrammes alignés au bord de la visière de son casque, tous au vert. Le Deepforce endurait sans problème la pression écrasante, mais cela n’effaçait pas cette sensation d’enfermement à laquelle il avait du mal à s’accoutumer. L’armure de combat classique, plus proche du corps, ne produisait pas le même effet. Le sous-officier se concentra sur le chuintement du circuit d’air et le son régulier, apaisant, de sa propre respiration. Une brusque secousse le jeta contre son harnais magnétique et les semelles alvéolées de ses bottes-ventouses l’empêchèrent de perdre l’équilibre. Un éclat de rire fusa sur sa gauche, à l’arrière de la soute, légèrement métallisé par la transmission radio et suivi par une voix jeune, débordant d’excitation et de nervosité. — Ça y est,