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Et Dieu riait beaucoup

Author/Uploaded by Joann Sfar

Même si certains traits de caractère des personnages ou certaines situations peuvent s’inspirer du réel, ce récit est une pure fiction. © Éditions Albin Michel, 2023 ISBN : 9782226483027 Merci à Florence Godfernaux qui accompagne mes romans de leur genèse à leurs apocalypses. Merci à Avishag Zafrani, David Isaac Haziza et Nathan Devers, trois étoiles pour accueillir Shabbat. « Je flâne, je flâne...

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Même si certains traits de caractère des personnages ou certaines situations peuvent s’inspirer du réel, ce récit est une pure fiction. © Éditions Albin Michel, 2023 ISBN : 9782226483027 Merci à Florence Godfernaux qui accompagne mes romans de leur genèse à leurs apocalypses. Merci à Avishag Zafrani, David Isaac Haziza et Nathan Devers, trois étoiles pour accueillir Shabbat. « Je flâne, je flâne… Ah ! J’aurai beaucoup flâné dans ma vie. Ce qui en a peut-être été les meilleurs moments… Que de jolies filles, que de jolies femmes, en toilettes d’été si charmantes, et moi, vieux monsieur… » Paul Léautaud, Journal Chaque nuit, on asseyait le roi David à la terrasse de son palais. Il passait un moment à faire semblant d’y voir encore et nommait toutes les collines de son empire. – Je suis comme le clou abîmé qui tient une tapisserie, personne ne peut dire comment je m’y prends. Cependant, je sens qu’Israël se déliterait s’il n’y avait plus de roi. J’ai froid, il faut rentrer. Je suis venu en ce royaume grâce à ma jeunesse et à ma voix. Un souverain tourmenté ne trouvait la paix qu’en écoutant mes chansons. Quelle trace de cette jolie voix aujourd’hui ? Je ne suis plus ce pâtre qui d’un geste de sa fronde a massacré le colosse philistin. Aucun miroir ne fera revoir ce visage dont le fils de Saül fut tant épris. Je suis glacé, c’est tout. Le rideau s’écarte et ses soldats offrent à David une captive. Elle est juive, elle est peut-être noire, on ne sait plus. On la couche près du vieux pour qu’il se réchauffe. – Moi aussi, il y a longtemps, j’ai été amené dans la chambre d’un roi. Il prétendait ne trouver la paix que dans mes chansons. Tu me ressembles, Abishag. David n’est plus en état de faire mal à grand monde dans un lit. À la grande satisfaction de son entourage, il cesse dès cette nuit-là de grelotter. La captive reviendra tous les soirs. De ses visites naîtra le Cantique des cantiques. À partir de là, les versions diffèrent. Les traditionalistes attribuent ce poème érotique à Salomon. Mais certains commentateurs y voient une réminiscence de l’histoire de David et d’Abishag la Shulamite. Les féministes, enfin, soutiennent que c’est la jeune fille qui a rédigé ces vers elle-même, en guise d’autoportrait. « Puisque le roi ne voit rien, je vais lui raconter ce qu’il perd. » Tournez l’histoire comme vous voulez, ça reste un vieillard juif dans un lit avec une très jeune fille. Ils n’auront pas d’enfant. Leur amour ne sera pas consommé. Et il en reste un poème pornographique avec lequel tous les israélites du monde accueillent le shabbat. Si Dieu nous « prête » vie – horrible expression tellement vraie –, on devient forcément le vieux roi de quelqu’un. Conscient de tout cela, Pierre Cohen se cherchait de bonnes raisons de continuer le théâtre. À soixante et onze ans, Pierre Cohen se disait qu’il voulait encore tenir une femme dans ses bras. Son appareil uro-génital fonctionnait toujours. Cela relevait sans doute de la bizarrerie vu son âge mais, lorsqu’une arme est en état de marche, il faut s’en servir. Sa troisième femme vivait en Provence avec leurs enfants. Il avait repris un studio à Paris. Il ne tournait plus. Pierre Cohen avait écrit et réalisé vingt longs métrages francophones. Il tenait le premier rôle dans la plupart d’entre eux. Il possédait son propre théâtre et jouait dans presque toutes ses pièces. Son public vieillissait avec lui. La population française et Pierre allaient main dans la main vers une forme de désinvestissement. On se foutait de tout et de plus en plus. La mort de Belmondo marqua une sorte de divorce avec le réel. Ni Pierre Cohen ni son public ne voulaient d’un monde sans Belmondo. On allait se laisser glisser vers la tombe sans trop se bagarrer. Pierre n’était pas complètement con et ne rentrait jamais ni dans la lutte politique contre le petit magasin des idées de son temps, ni dans le cortège de celles et ceux qui clamaient que tout était mieux avant. Il était conscient que le chagrin provenait de son propre vieillissement. Petit à petit, le monde avait cessé de lui appartenir. Tout allait bien se passer. On devait accepter, comme disait Bouddha qui n’était vraiment pas assez juif. On ferait cependant usage des talents et des organes tant qu’ils fonctionneraient, on écrirait, on jouerait, et quiconque souhaiterait une étreinte pourrait sans trop se battre l’obtenir. – Non, je ne vais pas jouer Nitchonne ! Elle hurlait au téléphone. Le nuage de Tchernobyl avait épargné cette comédienne et pourtant elle affichait sur son visage tous les symptômes d’un déséquilibre thyroïdien. Les yeux ronds et le cou un peu fort. Comme Titi le canari. – Je te vois, lui répondit Pierre. Il se tenait au balcon et elle vociférait dans la rue animée. Il fumait, elle criait. Elle gardait le téléphone en main et braillait dedans. – Je te dis que je te vois et que je t’entends. Pose ce téléphone et viens parler. – Non, tu m’emmerdes ! Elle raccrocha et croisa les bras. Il tenta : – Ça suffit, monte. Elle n’entendait plus puisqu’elle avait raccroché. Les comédiennes croient aux accessoires. Vous pouvez être au balcon deux mètres au-dessus d’elles, si elles ont décidé que le téléphone est raccroché, c’est un point final. Elle s’appelait Valérie Signoret et avait toujours refusé de changer son nom de famille, croyant à tort que sa carrière éclipserait un jour celle de l’interprète de Casque d’or. Pierre raccrocha à son tour, descendit l’escalier et la rejoignit sur le boulevard Saint-Martin. Elle faisait les cent pas au milieu de dames chinoises plus âgées qui pratiquaient une autre forme de métier du spectacle. – Tu es un con ! Un con ! Un Con ! – Veux-tu prendre un café ? – Ton café, tu te le mets dans le cul ! – Je te voyais dans ce rôle. À

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