Author/Uploaded by Dimitri Nasrallah
Table des matières Couverture Titre Aucune expérience requise Ici les nuits n'ont pas de fin Ce que nous enterrons vit à jamais Dans la même collection Crédits Notes HOTLINE Dimitri Nasrallah traduit de l’anglais (Canada) parDaniel Grenier éditions la peuplade 339b, rue Racine Est Saguenay (Québec) Canada G7H 1S8 www.lapeuplade.com dépôts légaux Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023...
Table des matières Couverture Titre Aucune expérience requise Ici les nuits n'ont pas de fin Ce que nous enterrons vit à jamais Dans la même collection Crédits Notes HOTLINE Dimitri Nasrallah traduit de l’anglais (Canada) parDaniel Grenier éditions la peuplade 339b, rue Racine Est Saguenay (Québec) Canada G7H 1S8 www.lapeuplade.com dépôts légaux Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023 Bibliothèque et Archives Canada, 2023 ISBN 978-2-925141-60-0 (ePub) ISBN 978-2-925141-50-1 (papier) Titre original : Hotline © véhicule press, 2021 © dimitri nasrallah, 2023 © daniel grenier pour la traduction française, 2023 © éditions la peuplade pour l’édition française, 2023 • Les Éditions La Peuplade reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada pour ses activités d’édition et remercient le Conseil des arts du Canada, la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) et le gouvernement du Québec, par l’entremise du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Québec (gestion SODEC), du soutien accordé à son programme de publication. pour Maha AUCUNE EXPÉRIENCE REQUISE À deux heures moins cinq, je vérifie l’allure de mon visage dans les murs de miroirs du lobby de l’immeuble, ajuste ma veste, retouche mon rouge, puis entre dans l’ascenseur, direction sixième étage. Je commence à avoir l’habitude. J’ai toujours espoir que cette fois sera la bonne. Inchallah ! Je trouve déjà du positif à cet immeuble : le lobby est clair et bien aménagé ; il y a un comptoir pour les agents de sécurité, ce qui empêche les abu reihas de venir se piquer dans les toilettes du rez-de-chaussée ; même la taille de l’ascenseur est agréable. Je me connais. Je m’attache trop vite à ces petits détails et je me mets à m’imaginer vivre ici ou là, n’importe où, comme pour plier le monde à ma volonté, ne serait-ce qu’une seule fois. Je suis une rêveuse. Ma mère me l’a toujours dit. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le sixième étage, où m’accueillent un vestibule d’un blanc prometteur et une moquette somme toute assez propre. Quelqu’un a pensé à vider la grosse poubelle-cendrier installée près de l’ascenseur, ce n’est donc pas la première odeur qui s’impose à l’ouverture des portes. Sur le mur, à ma droite, une porte en verre qui fait très moderne, sur laquelle on peut lire, en lettres rouges et fluorescentes : NUTRI-FORT. C’est là que je vais et, en entrant, j’annonce ma présence à une réceptionniste à l’air blasé. — Muna Heddad, dis-je. Je suis ici pour la séance d’information. Nous nous sommes parlé plus tôt. Elle roule les yeux, vérifie la liste et me pointe du doigt une salle au fond du couloir. — Suivez les indications pour « Séance d’information » et attendez avec les autres. Il y a du café, si vous voulez. J’espère qu’elle n’a pas remarqué mes sourcils qui s’égaient à la mention du café gratuit. Ça m’impressionne. Une fois là-bas, au fond du couloir, j’entre dans une salle de conférence dont les fenêtres donnent sur le nord de la ville. Au centre, autour d’une longue et large table au bout de laquelle est installé un écran, une dizaine de personnes ont pris place, attendant que la réunion commence. Je me déplace subtilement vers la table où repose la cafetière et remplis d’un geste mécanique un verre de polystyrène, avant d’aller m’asseoir du côté des fenêtres. D’ici, on a une vue sur le campus de l’Université McGill, sur les grandes demeures victoriennes le long de l’avenue du Docteur-Penfield et de l’avenue des Pins et, plus loin, sur le mont Royal. En attendant que la séance débute, j’essaie de trouver ma maison : la voilà, c’est un appartement dans ce grand immeuble situé juste à l’extérieur des grilles du campus, dans la rue University, l’unique endroit où on a accepté de louer un logement meublé à une mère monoparentale, immigrante et sans références. Une grande femme blonde et bien habillée entre dans la salle et s’installe au bout de la table, là où l’attendent le projecteur de diapositives et l’écran. — Bon après-midi à tout le monde 1, dit-elle, bienvenue à la séance d’information de Nutri-Fort, qui portera sur les possibilités d’une carrière excitante, une carrière qui n’attend que la bonne personne. Dites-moi, combien parmi vous affirmeraient que la vie les comble de bonheur ? Autour de la table, quelques personnes laissent échapper un petit rire nerveux. Un homme lève la main, mais se ravise, l’air de se dire que son intervention allait être plus rhétorique qu’autre chose. La femme blonde sourit en regardant tour à tour les participants dans les yeux, consciente d’en avoir déstabilisé un ou deux. — Je m’appelle Lise Carbonneau. Je suis la directrice générale de la division montréalaise, ici, chez Nutri-Fort. Nous avons, à ce jour, six divisions dans la province, trente-quatre à travers le pays, et nos plans d’expansion sont loin d’être terminés. Rien de tout ça n’existait il y a à peine deux ans. 1984, c’est l’année où nos produits ont été lancés au Québec, et nous sommes en bonne position pour envisager une croissance rapide. L’annonce à la fin de la section des offres d’emploi de La Presse ne s’attardait pas sur la nature de l’entreprise. On y mentionnait uniquement : « Conseillers en vente recherchés. Salaire de base + commission. Temps plein, lundi au vendredi. Grandes habiletés interpersonnelles. Entrevue garantie. » Je m’étais dit : pourquoi pas, qu’est-ce que j’ai à perdre ? Ça fait presque trois mois que je suis en recherche d’emploi. Le mois de novembre est déjà à nos portes et j’ai posé ma candidature pour chacune des annonces d’enseignante de français de La Presse, du Devoir, de la Gazette, mais ça n’a rien donné. Je n’ai presque plus d’argent. J’écoute cette femme parler et, oui, yaneh, peut-être suis-je un peu désespérée. — Laissez-moi vous raconter une histoire, entre amis, poursuit Lise. Il y a deux ans de ça, je n’étais pas heureuse. Je travaillais comme gérante de département chez La Baie, plus loin sur Sainte-Catherine, je m’occupais de l’équipe maquillage. C’était