Ils finiront bien par t'avoir

Projet dirigé par Stéphane Dompierre, éditeur Conception graphique et mise en pages : Nathalie Caron Révision linguistique : Sabrina Raymond Photographie en couverture : Smyl / stock.adobe.com Conversion en ePub : Fedoua El Koudri Québec Amérique 7240, rue Saint-Hubert Montréal (Québec) Canada H2R 2N1 Téléphone : 514 499-3000 Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada. Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien.We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts. Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC. Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre : ls finiront bien par t’avoir / Sébastien Diaz. Noms : Diaz, Sébastien, auteur. Description : Mention de collection : QA fiction Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20220034338 | Canadiana (livre numérique) 20220034346 | ISBN 9782764450550 | ISBN 9782764450567 (PDF) | ISBN 9782764450574 (EPUB) Classification : LCC PS8607.I28 I47 2023 | CDD C843/.6—dc23 Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023 Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2023 Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés © Éditions Québec Amérique inc., 2023. quebec-amerique.com À mes miracles Liv, Bowie et Biancaqui parvenez à faire entrer de la lumièredans ce monde si étrange. Pour avoir vendu ton âme à SatanLe blizzard viendra te chercherMais entre-tempsSavoure les derniers instants. Malajube, Le Blizzard Qu’est-ce qu’on a trahiPour que l’orage gronde ? Richard Séguin, Un peu de poésie LE MATIN DE MAI OÙ TOUT A COMMENCÉ Les lendemains de tempête de neige étaient toujours un peu chaotiques à Saint-Hubert. Surtout depuis que le vieux Mario, qui déneigeait les trois quarts des ronds-points du quartier, avait décidé de déménager en campagne dans le coin de Racine pour y entreposer sa déneigeuse pour de bon. Manon, la gérante du resto-bar L’Impact, avait dû appeler son beau-frère en renfort pour déblayer le stationnement et pouvoir ouvrir ce matin-là. « Une tempête début mai ! On aura tout vu joualvert ! » Elle qui pensait en avoir terminé avec l’hiver avait dû ressortir ses grandes carpettes du backstore pour éviter que le plancher de la salle à manger devienne une patinoire pleine de gadoue et de sel à déglacer. Ceci dit, les bancs de neige de la dernière bordée de la saison n’avaient pas empêché les réguliers de venir déjeuner comme d’habitude. Le vieux Max Durand buvait son café assis devant sa machine de loterie vidéo – un jour, on finirait par graver son nom sur le tabouret tellement il y avait passé du temps, qu’il disait toujours – et Philippe attaquait son deux œufs-bacon avant d’aller commencer son shift au parc industriel. — Le monde est rendu malade ! déblatéra le bonhomme Walter en lisant son journal près de la fenêtre. Le quotidien soulignait le deuxième anniversaire d’une histoire qui avait choqué la province. « Comment la Blonde du Diable s’en est presque sortie indemne ! » titrait-on. — Les Maniaques de Limoilou ça ? demanda Manon en lisant par-dessus son épaule avec sa carafe de café filtre à la main. Walter se contenta de grommeler en prenant une bouchée de toast au beurre de pinottes. Sur la télévision cathodique fixée à un coin du plafond, on annonçait une vente sur les abris Tempo pour la prochaine saison froide alors que le printemps arrivait à peine. — Des fois je regarde ça aller pis je me demande ben où est-ce qu’on s’en va de même ! soupira la gérante en sortant des verres propres du lave-vaisselle. — Sur une bad run ! trancha le vieux Durand en ne quittant jamais l’écran de sa machine des yeux. Il venait de perdre trois mises d’affilée. En bref, un autre matin à L’Impact à repenser le sort de l’humanité entre habitués. Jadis, l’endroit était rempli à chaque service, et les employés de l’Hôtel de Ville venaient tous y luncher le midi. C’était le point de rendez-vous du coin. Le genre de resto-bar pratique où on n’avait pas à se casser la tête et où on pouvait manger autant des grilled-cheese que des brochettes de poulet avec crevettes-papillons. Sauf que la mode avait passé, et on avait peu à peu déserté la place au fil des ans. Depuis, le local était demeuré figé dans le temps, et Manon n’avait pas mis sa décoration rose pastel à jour ni changé la tapisserie aux motifs calqués sur Fido Dido depuis 1989. Les quelques courageux qui osaient encore s’aventurer là n’étaient plus que des réguliers qui voyaient dans le côté stagnant du restaurant quelque chose de rassurant. Un peu de stabilité dans un siècle turbulent et agité qui commençait sérieusement à tourner en rond. L’équilibre apparemment inébranlable des choses et de la routine réconfortante fut pourtant troublé lorsqu’elle entra ce matin-là. Le vent siffla à tout rompre quand elle passa la porte vitrée près de la machine à toutous, et comme dans un vieux western spaghetti, ils arrêtèrent tout ce qu’ils faisaient en la voyant debout dans l’entrée, droite comme un piquet. Sophie Routhier se tenait là, en personne, devant eux. Elle les dévisagea longuement, de l’air de celle qui aurait pris la pire des brosses la veille au soir, puis tituba maladroitement jusqu’à une table du fond. Chancelante, elle se laissa tomber lourdement sur une chaise. Philippe jeta tout de suite un coup d’œil malaisé à Manon, qui était en train de lui servir un réchaud de café filtre, et la gérante lui répondit par des simagrées d’incompréhension. Sophie était revenue, mais dans un piteux état. Elle était couverte de boue, et ses cheveux étaient aussi sales que la plus repoussante des moppes à plancher. De là où il était attablé, Philippe aurait même juré apercevoir des petits asticots grouillant dans son cuir chevelu, et il pouvait flairer son odeur de loin. Un mélange de sueur, de pisse et d’effluves de poulet avarié pourrissant sur le comptoir. Elle sentait le robineux habillé