La maison des âmes perdues

La Maison des âmes perdues Du même auteur Aux éditions De Borée Enfants de la liberté, 2017, prix du Lions Club Centre Sud 2019 Les Amants d’Austerlitz, 2018 Les Larmes du Marchidial, 2019 Un été d’espérances, 2020, prix Lucien-Gachon 2022 La Prophétie des marguerites, 2021 Un ange dans la tourmente, 2022 Alain Léonard La Maison des âmes perdues Roman En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © Centre France Livres SAS, 2023 45, rue du Clos-Four – 63056 Clermont-Ferrand Cedex 2 Note de l’auteur Dans ce nouveau roman, j’ai voulu explorer, comme dans La Prophétie des marguerites (2021), un pan de cette société du xixe siècle, au temps de la Belle Époque, période que l’on considère comme heureuse et insouciante. Mais était-elle belle pour tous ? À travers l’histoire de Claire, une jeune femme descendue de son village de montagne pour se placer, je décris la vie des domestiques, puis celle des prostituées des maisons de tolérance, ces « filles de joie » à la vie peu enviable. Quand on évoque les maisons closes, il vient immédiatement à l’esprit l’ambiance des fêtes nocturnes où l’on s’amuse à l’abri des regards et où le champagne, dans les maisons de luxe s’entend, coule à flots. On pense à ces jeunes femmes jolies et accortes, légèrement vêtues, qui se prêtent avec grâce à tout le cortège des fantasmes masculins. Mais qu’en est-il quand la lanterne rouge, au-dessus de la porte, est éteinte ? Quand la musique s’arrête, quand le rideau est pudiquement tiré sur ces femmes recluses, déconsidérées, presque déshumanisées, mises au ban d’une société à la fois puritaine et hypocrite ? Dans cette histoire, comme dans toutes celles que je vous ai déjà proposées, se mêlent étroitement le romanesque et les faits réels. Si la famille Gervais n’existe que dans mon imagination, tout comme Claire, la maison close La Boule d’or a réellement existé rue des Trois-Raisins, effectivement tenue par Mme Andrée, dont j’ai conçu de toutes pièces les traits de caractère en me basant sur des écrits d’époque. La sous-maîtresse Gisèle tout comme Belle Gorge, Louison, Cocotte, Toinou, l’Espagnole ou encore Zénaïde sont totalement imaginaires, à l’instar de la plupart des personnages rencontrés au fil des pages. Afin de coller au plus près de la réalité historique et sociale, j’ai effectué de nombreuses recherches dans les documents mis à disposition par la Bibliothèque nationale de France trouvés sur les sites Internet dédiés. L’excellent livre La Vie quotidienne dans les maisons closes, 1830-1930, de Laure Adler, ainsi que les blogs richement documentés de Lise Antunes Simoes, auteure passionnée du xixe siècle à l’origine de plusieurs romans, m’ont été infiniment précieux pour m’immerger sans voyeurisme aucun dans ce contexte. Des lectures que je conseille à tous ceux qui désireraient approfondir ce sujet passionnant. Je me suis également rapproché de Christophe Gironde, propriétaire de la librairie clermontoise Nos Racines d’Auvergne, qui m’a donné, lors d’une conférence privée, de précieux renseignements sur la ville à l’époque qui m’intéressait. J’espère vous avoir donné l’envie de découvrir l’histoire de Claire. Si cela est le cas, il vous appartient maintenant de tourner les pages qui suivent. Je vous souhaite une excellente 1 — Rosa, rosa, rosam… rosae, rosae… rosa. Assise devant la petite table du salon de lecture, le dos bien droit calé sur le dossier de la chaise, ses mains à plat de chaque côté d’un livre fermé et les yeux levés vers le plafond, Béatrice récitait avec peine sa leçon de latin. M. Leduc, son professeur particulier, un homme voûté par le poids des ans, déambulait à pas lents autour d’elle tout en lissant doucement sa barbichette blanche parfaitement taillée en pointe. Tous les deux ou trois pas, de son doigt long et fin il remontait sur son nez une paire de petites lunettes à verres épais qui lui donnaient l’air d’un hibou. Il émit un claquement de langue agacé. — Le par cœur, mademoiselle, ne souffre aucune hésitation. Recommencez encore une fois, je vous prie. Je vous écoute. La fillette soupira. Elle jeta un regard furtif à Claire, occupée à l’autre bout de la pièce à chasser avec son plumeau la poussière des étagères remplies de livres reliés. — On ne ronchonne pas, jeune fille, reprit le précepteur qui avait gardé l’ouïe fine. Reprenons. — Rosa… La porte du salon s’ouvrit sur Eugénie Gervais, la mère de Béatrice, interrompant net la récitation de sa fille. — J’ose espérer que vos leçons de latin portent enfin leurs fruits, monsieur Leduc. Elle s’avança d’un pas nerveux vers le centre de la pièce en croisant les deux mains sur son ventre. Elle se pencha légèrement vers sa fille, les sourcils froncés. Béatrice, pour éviter le regard maternel, s’absorba dans son livre. Le précepteur inclina légèrement le buste vers la maîtresse de maison. — Mademoiselle votre fille avance à son rythme, madame. À petits pas, certes, mais elle avance. Je peux noter quelques progrès significatifs depuis ces dernières semaines. Je constate que mes leçons ne sont pas inutiles et j’en suis satisfait. Il sourit légèrement pour cacher ce petit mensonge. De toute évidence, Béatrice n’avait aucun goût pour le latin mais le tarif de ses cours complétait de façon significative sa petite pension de professeur à la retraite. Eugénie eut un geste d’agacement. — Ma fille a toujours été un peu lente dans ses apprentissages. Je compte sur des résultats probants – elle leva vers le professeur un regard désapprobateur –, au prix que ces leçons particulières me coûtent. Béatrice tourna la tête vers Claire qui avait suspendu son travail de nettoyage à l’arrivée de sa patronne. Ses joues avaient un peu rosi sous la remontrance. Claire lui adressa en retour un sourire discret avant de reprendre son travail de dépoussiérage. — Enfin, n’est-il pas de notre devoir de s’occuper au mieux de nos