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La Marchande d'antiquités de Venise

Author/Uploaded by Philippa Gregory

Page titre Philippa Gregory LA MARCHANDE D’ANTIQUITÉS DE VENISE Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Mathias Lefort Hauteville Lettre d’Alinor Solstice d’été Reekie Wharf, Southwark, Londres Ned, mon bien cher frère, Je dois t’annoncer que nous avons reçu une lettre en provenance de l’épouse de Rob Venise. C’est une mauvaise nouvelle. La pire qui soit. Elle m’écrit que Rob a péri en mer s’e...

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Page titre Philippa Gregory LA MARCHANDE D’ANTIQUITÉS DE VENISE Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Mathias Lefort Hauteville Lettre d’Alinor Solstice d’été Reekie Wharf, Southwark, Londres Ned, mon bien cher frère, Je dois t’annoncer que nous avons reçu une lettre en provenance de l’épouse de Rob Venise. C’est une mauvaise nouvelle. La pire qui soit. Elle m’écrit que Rob a péri en mer s’est noyé. Son épouse Sa veuve m’annonce qu’elle vient en Angleterre avec son bébé. Je t’écris à présent car je ne peux pas le croire je sais que tu voudras apprendre cela au plus tôt. Mais je ne sais pas quoi écrire. Ned, tu sais que je le saurais si mon fils était mort. Je sais qu’il ne l’est pas. Je jure sur mon âme qu’il ne l’est pas. Je t’écrirai encore quand elle sera arrivée et nous en aura appris davantage. Tu te diras J’imagine que tu te diras que je me voile la face, que la nouvelle m’est insoutenable et que je veux croire que tout le monde se trompe sauf moi. Je ne sais pas. Je ne peux pas en être sûre. Mais je pense l’être. Je suis navrée de t’apporter une si mauvaise triste nouvelle. Il est impossible qu’il soit mort sans que je le sache. Je l’aurais senti, il est impossible qu’il se soit noyé. Comment se pourrait-il que les flots m’aient recrachée, moi, mais que vingt et un an plus tard ils l’aient emporté, lui ? Ta sœur dévouée, Alinor. Je prie, bien entendu, pour que tu ailles bien. Écris-moi. Londres, Solstice d’été, 1670 L’entrepôt délabré se trouvait du mauvais côté de la Tamise, au sud, là où les bâtiments se disputaient l’espace et où les petites embarcations déchargeaient leurs cargaisons dérisoires contre une somme modique. Les richesses de Londres leur filaient sous le nez, remontant le courant jusqu’au bureau des douanes de Custom House, encore en pleine construction, dont la façade de pierre écrue formait un front solide au bord du fleuve boueux, comme pour mieux réclamer sa part de taxe à la moindre goutte d’eau. Les plus grands navires, remorqués avec zèle par les barges, dépassaient sans état d’âme les petits quais, comme s’il ne s’agissait que de débris abandonnés à la pourriture. Deux fois par jour, même la marée les délaissait, se retirant au profit de la vase puante tandis que les pontons couverts d’algues émergeaient tels de vieux squelettes au-dessus de l’eau. Cet entrepôt, comme tous ceux qui se serraient fébrilement contre lui en bordure des eaux noires, tels des livres rangés négligemment sur une étagère, avait dû contempler en salivant les richesses que le nouveau roi avait apportées dans son sillage, sur ce bateau qui avait jadis été celui d’Oliver Cromwell, au sein d’un pays qui avait jadis été libre. Ces pauvres marchands, peinant à survivre du maigre négoce glané sur la Tamise, avaient vent de tout le faste de la Cour à Whitehall, mais ils profitaient peu de ce nouveau règne. Ils n’avaient aperçu qu’une seule fois le monarque, la fois où il était arrivé à bord de son navire arborant le pavillon royal. Ils ne l’avaient jamais revu ; il ne venait jamais jusque-là, sur la rive sud, à l’est de la ville. Ce n’était pas un endroit que l’on visitait ; c’était un endroit que l’on fuyait. On n’y voyait jamais aucun carrosse grandiose, ni aucune monture de valeur. Depuis son retour, le roi restait à l’ouest de la Cité, entouré d’aristocrates opportunistes et de catins anoblies, tous à l’affût d’une chance de s’adonner à des plaisirs licencieux, sauvés de la disgrâce par un coup du hasard, et dont aucun ne méritait véritablement sa bonne fortune. Mais cette petite demeure se cramponnait aux anciennes valeurs puritaines du dur labeur et de l’économie, tout aussi fermement que les bâtiments se cramponnaient au quai : cette pensée traversa l’homme qui les contemplait de si près, levant les yeux sur les fenêtres comme dans l’espoir d’apercevoir une personne à l’intérieur. Son costume marron était impeccable, la dentelle blanche de son col et de ses manches avait une touche de modestie en ces temps de luxe outrancier. Son cheval attendait patiemment derrière lui tandis qu’il observait la façade neutre de l’entrepôt, avec sa poulie accrochée au mur et ses doubles portes grandes ouvertes. Puis il fit volte-face et s’approcha du quai pour regarder les débardeurs en file se lancer de lourds sacs de grain depuis une barge à fond plat tout en entonnant un chant marin pour garder le rythme. Le gentilhomme sur le quai eut le sentiment d’être tout aussi étranger à ce monde-ci qu’il l’était à la Cour les rares fois où il s’y rendait. Il semblait ne pas y avoir la moindre place pour lui dans cette nouvelle Angleterre. Là-bas, dans ce palais chatoyant et bruyant, il était le rappel malaisant d’un passé difficile, du genre que l’on expédiait d’une tape dans le dos, avec une promesse bien vite oubliée. Sur ce quai de Bermondsey, en revanche, il détonnait par son exotisme : il était un riche se promenant parmi les travailleurs, une présence silencieuse au milieu des cris incessants des poulies et des grues, du grondement tonitruant des tonneaux que l’on faisait rouler, des ordres lancés et des efforts des débardeurs. À la Cour, il était un obstacle à la turpitude inconséquente, trop austère pour être accepté. Ici, il gênait le travail, dérangeant cette chaîne humaine qui formait un tout, comme une machine parfaite – comme si le labeur n’en était plus un et qu’il ne s’agissait finalement que d’une tâche mécanique. Il avait le sentiment que le monde n’était plus en harmonie, mais scindé entre le peuple et la Cour, les gagnants et les perdants, les protestants et les hérétiques, les royalistes et les Têtes-Rondes, les injustement bénis et les illégitimement damnés. Il se sentait très éloigné de son propre monde, fait d’un luxe ordinaire considéré comme acquis : de l’eau chaude dans un vase en porcelaine disposé sur sa table de nuit,

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