La Villa


 
 
 
 
 À maman, pour toujours dans mon cœur, et à Michael
 
 
 Prologue
 La productrice
 Aruna, îles Baléares
 Aujourd’hui
 Des éclats de verre craquent sous mes baskets alors que nous approchons de la piscine. Le soleil se couche sur la villa, la lumière dorée qui baignait magnifiquement celle-ci se réduit à une terne lueur ambrée.
 L’inspecteur José Carlos Sanchez soulève le cordon de police bleu et blanc et se baisse pour le franchir. Il le tient levé pour moi et je remarque qu’il porte des gants de caoutchouc d’un blanc laiteux… qui m’annoncent ce qui nous attend. Il s’arrête et balaie les lieux du regard.
 — Dites-moi où sont placées toutes les caméras, señora.
 Malgré la brise marine, la chaleur est accablante. Elle m’agresse et je transpire à des endroits où je ne savais pas que c’était possible.
 — Señora ?
 Les caméras. Je connais par cœur où chacune se trouve. Il a fallu des mois de préparation minutieuse pour choisir leur emplacement et les dissimuler. Les positionner de telle manière que l’on saisisse la plus infime nuance dans l’expression des candidats. Il n’y avait pas de secrets dans mon émission. Je me suis donnée corps et âme pour créer la perfection : concevoir la plus grande émission de divertissement de tous les temps.
 Je désigne la plante magenta à côté de la chaise longue.
 — Regardez là-dedans.
 La plante est désormais desséchée et racornie… C’est fou comme les choses meurent vite quand on ne les nourrit pas.
 Nous nous en approchons d’un même pas. Il plonge les yeux dans le pot en terre cuite et hoche la tête. Puis il fait signe à un des nombreux agents qui retiennent la presse et les curieux à l’écart des lieux du crime. Depuis que la nouvelle a éclaté, la localisation de la villa n’est plus mon secret le mieux gardé. Je remarque que le voyant rouge Enregistrement de la caméra a cessé de clignoter.
 — Où sont les autres ? demande Sanchez.
 — Là-bas, dis-je en montrant le palmier qui donne de l’ombre au jacuzzi. Là et là.
 Je désigne dix autres emplacements.
 — Et la plus proche de la piscine ? demande-t-il, en m’entraînant vers elle.
 Ma gorge se serre. Ça se rapproche. On y est presque. J’ai envie de détourner les yeux mais une curiosité morbide m’en empêche.
 La voilà. Le visage écrasé contre les pierres chaudes. Ses cheveux blond platine étalés en auréole autour de la tête. Du sang suinte encore de son crâne et s’écoule goutte à goutte dans la piscine. Des filets écarlates se répandent dans l’eau turquoise. Disparaissent en se diluant, comme de l’aquarelle. Si ce n’était pas si troublant, ce serait beau.
 — C’est fini, je murmure en la contemplant.
 Sanchez me regarde.
 — Qu’est-ce que vous avez dit ?
 Je relève la tête et rencontre son regard.
 — C’était pas censé se terminer comme ça.
 Je ferme les yeux en imaginant la façon dont cela aurait dû se dérouler. Les feux d’artifice explosant dans le ciel, parfaitement synchronisés avec la musique. Leurs couleurs qui se reflètent dans l’océan. Des millions de spectateurs poussant des cris dans leur salon. La remise du chèque.
 Je ne sais pas ce qu’est un état de choc mais je suis certaine d’en faire l’expérience maintenant. Je ressens des picotements dans les doigts et les poignets. Des fourmis aux coins de la bouche, et je n’arrive toujours pas à détacher mon regard d’elle.
 — Señora Jessop, j’ai besoin de savoir où se trouve la caméra la plus proche du corps.
 Corps. On ne parle plus d’elle comme d’une personne avec un nom. Je ravale la bile qui m’est montée dans la gorge.
 — Elle est là.
 Je pointe le doigt vers la caméra encastrée dans la paroi de la piscine sous l’eau. Puis je détourne enfin les yeux de cette scène macabre.
 Deux hommes et une femme en combinaison blanche de la police scientifique arrivent. Je les regarde enfiler des surchaussures et la femme rentrer ses cheveux sous sa capuche. Ils approchent du corps tels des esprits venus ramasser les morts. Ils portent ce qui ressemble à une glacière, mais je sais qu’elle ne contient ni amuse-gueules ni vin frais. Ce sont les techniciens des scènes de crime et ils sont venus recueillir des preuves.
 Des preuves. Un crime. Les mots pèsent comme des pierres dans le creux de mon ventre.
 Une seconde tonnelle blanche est dressée à un autre endroit où du sang a été répandu. Désormais couleur rouille, en train de s’écailler dans la chaleur.
 Deux autres agents arrivent chargés d’une civière et d’une housse mortuaire noire.
 — Ils l’emportent ? je demande en me tournant vers Sanchez.
 Bien sûr qu’ils l’emportent, Michelle. La ferme. Fais marcher ta putain de cervelle. Elle est morte.
 Elle sera la dernière concurrente à quitter la villa. Ça va vraiment marquer la fin. Cette pensée m’angoisse plus que tout. Je ne veux pas lâcher prise.
 — Nous allons devoir effectuer une autopsie une fois que l’expertise sera terminée.
 — Est-ce que sa famille a été prévenue ? je m’enquiers.
 — Elle est en route vers Madrid.
 J’ai un haut-le-cœur en imaginant leur chagrin.
 — Vous avez encore besoin de moi ? J’ai tellement de choses à faire et à régler…
 Gestion de crise. Sauvetage de réputation. J’ai toute une équipe de production qui attend que je lui explique ce qui va se passer ensuite. Un communiqué de presse à préparer. Je consulte ma montre. Le temps perdu fait grimper mon taux d’adrénaline. Je suis à cran. Dégage de mon chemin, Sanchez. Je tourne les talons, prête à partir.
 L’inspecteur lève la main.
 — J’ai bien peur que vous deviez nous accompagner au commissariat.
 — Quoi ? Pourquoi ? dis-je en perdant mon air patient et coopératif. Je vous ai aidés par tous les moyens possibles.
 — Vous êtes la productrice de l’émission.
 — Oui, je suis la productrice, mais ce n’est pas ma faute.
 Ses yeux