Author/Uploaded by Stéphanie Pélerin
Stéphanie Pélerin Le monde entier est une possibilité Hauteville « Et puis, qu’est-ce que ça veut dire, différents ? C’est de la foutaise, ton histoire de torchons et de serviettes… Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, c’est leur connerie, pas leurs différences… » Ensemble, c’est tout – Anna Gavalda « Je n’aime pas le mot tolérance, mais je n’en trouve pas de meilleur. » Gandhi CHAPITRE PRE...
Stéphanie Pélerin Le monde entier est une possibilité Hauteville « Et puis, qu’est-ce que ça veut dire, différents ? C’est de la foutaise, ton histoire de torchons et de serviettes… Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, c’est leur connerie, pas leurs différences… » Ensemble, c’est tout – Anna Gavalda « Je n’aime pas le mot tolérance, mais je n’en trouve pas de meilleur. » Gandhi CHAPITRE PREMIER 14 février 2009 Lalie lorgnait l’objet sans parvenir à se décider. Marc avait oublié son téléphone. Devait-elle en profiter pour chercher la preuve de ce qu’elle soupçonnait depuis des mois ? De ce qui se tramait dans son dos. Il y avait quelque chose, elle le savait. Elle le sentait… Mais quoi ? La tentation de s’introduire dans l’intimité de son mari était forte. Si elle découvrait que Marc fréquentait une autre femme, elle serait obligée de réagir. Son cerveau tournait à toute vitesse, et les questions fusaient. Ne s’étaient-ils pas mariés pour le meilleur comme pour le pire ? Pouvait-on encore se promettre fidélité de nos jours ? À cet instant précis, la frontière entre ses craintes et la réalité était poreuse. Son esprit était assailli de clichés, mais c’était plus fort qu’elle. Elle avait rencontré Marc un soir, dans un bar. Elle n’avait vu que son sourire. Il était accompagné d’une bande de potes, mais semblait un peu à part, en retrait. Elle avait tenté le tout pour le tout et s’était assise à côté de lui : — Tu ne danses pas ? — Je t’attendais, avait-il répondu sans se laisser désarmer. Ils avaient ondulé l’un contre l’autre pendant des heures. Le monde autour d’eux avait cessé d’exister. Quand les lumières s’étaient rallumées, elle l’avait pris par la main et guidé dans les rues de la ville. Il l’avait suivie sans un mot, dans une sorte de course folle, le long des trois étages qui les séparaient de l’appartement de la jeune femme. Il n’était que 1 heure du matin, ils avaient encore toute la nuit devant eux. — Tu veux boire quelque chose ? J’ai du champagne au frais. — Juste un verre d’eau, s’il te plaît. Marc ne consommait jamais d’alcool. Elle prit le portable, hésitante. Rien n’arrivait jamais par hasard. S’il avait oublié son téléphone, c’était forcément pour lui donner l’occasion d’y jeter un coup d’œil… Son raisonnement suintait la mauvaise foi. À moins que ce ne fût qu’une tentative de justifier ce qu’elle s’apprêtait à faire : fouiller dans la vie privée, profaner l’intime, violer le jardin secret. Par où commencer ? Il n’avait sans doute pas eu la bêtise de laisser des messages compromettants. Devait-elle se lancer dans un passage en revue méthodique de tous les noms de son répertoire ? Elle reposa l’appareil. Elle n’était pas prête à prendre ce risque. Ni à renoncer à ce qu’elle vivait avec lui. Ça n’avait rien de parfait, mais c’était stable. Et même s’il la trompait, il rentrait chaque soir auprès d’elle. Pouvait-elle s’en contenter ? Le désir suivait les règles de ce monde dédié à la consommation, temple de l’obsolescence programmée… On vivait de plus en plus vieux. Pouvait-on encore se contenter d’un seul corps, d’un seul cœur ? Le devait-on, d’ailleurs ? On n’enferme pas les gens, on ne décrète pas que l’autre nous appartient. Néanmoins, Lalie ne voulait pas partager. Elle aurait voulu qu’il ne désirât qu’elle. Elle aurait aimé se convaincre que la force de l’amour suffisait, or le doute avait tout grignoté. Le soleil n’avait pas encore pointé le bout de son nez, et pourtant Marc avait commencé à se rhabiller. — Tu peux dormir ici. Je ne ronfle pas et je fais le café le matin. Limite, si tu souris au réveil, je peux aller chercher des croissants. — Lalie, tu vas me détester, mais… je suis marié… Mes potes ne devraient pas tarder à rentrer… c’est la fin de mon alibi. Ne jamais le revoir, surtout ne jamais le revoir. Bien sûr, ils n’avaient pu s’en empêcher. Souffrant d’être ensemble, crevant de ne pas l’être. Leurs corps : comme une continuité l’un de l’autre. Leurs âmes : siamoises. Ne pas tomber amoureuse. Surtout ne pas tomber amoureuse. — Je t’aime, avait-il dit dans un souffle, un matin où elle lui avait ouvert la porte. — Surtout pas, avait-elle gémi avant de l’attirer contre elle. Tout avait été d’une spontanéité désarmante entre eux, et pourtant, il avait fallu de longs mois à Marc pour mettre un terme à son mariage. Il avait connu Juliette, sa femme, alors qu’ils sortaient du lycée. Ils s’étaient mariés très vite, contre l’avis de leurs parents respectifs. « Trop jeunes. » Ils avaient évolué sur des chemins différents, et leurs amours, nées à l’adolescence, n’avaient pas évolué dans la même direction. Il était douloureux de renoncer à ce que l’on avait construit, même si ça n’était pas parfait. Juliette était fragile, il craignait de la faire souffrir. Et pourtant, c’était elle qui, un beau matin, avait proposé le divorce. Quand Lalie avait parlé de Marc à ses proches, on lui avait demandé si elle n’angoissait pas à l’idée d’être, un jour, trompée à son tour. Pas un instant. Leur rencontre avait été une évidence. Un coup de foudre. Ce genre d’imprévu qui vous attrape et vous gratte tant que vous n’y avez pas succombé. Marc n’avait pas trompé Juliette parce qu’il était infidèle dans l’âme. C’était arrivé parce qu’elle était Lalie, parce qu’ils étaient eux. Pourtant, aujourd’hui, elle était confrontée aux doutes les plus vifs. — Veux-tu être ma femme ? Le genou au sol, une bague en toc dans un œuf en plastique, Marc lui avait fait sa demande. — Mon chéri, cette bague ! c’est trop ! avait-elle pouffé en retour. — Tu imagines bien que j’y ai passé mon salaire ! Ils avaient fait l’amour toute la nuit. C’était leur façon de se dire « oui ». Se marier avec un homme à peine divorcé. « Donc pas d’église ? »