Mes nuits sauvages et sans sommeil

CLOVER STROUD MES NUITS SAUVAGESET SANS SOMMEIL Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) parNATHALIE PERONNY Le sexe est aux antipodes de la maternité. Mon rôle de mère m’oblige à prétendre être une personne que je ne suis pas : patiente, propre, douce, attentive aux enfants des autres, douée en loisirs créatifs, mesurée, rarement anxieuse, jamais déprimée. Pendant l’amour, je peux enfin lâcher prise et devenir une autre : désinhibée et lascive, comme un animal, mais aussi complètement humaine, avec ma part d’ombre un peu crade. Dans ce journal d’une femme d’aujourd’hui, Clover raconte sa vie de mère de famille nombreuse mais aussi de femme. Elle y est autant louve que féline, souhaite tout concilier, ne renoncer à rien. Une vie plurielle aussi belle qu’épuisante. Des confessions à fleur de peau, drôles et impertinentes. Clover Stroud est journaliste et écrivaine. Elle vit avec sa famille dans la très belle campagne anglaise de l’Oxfordshire. Les publications numériques des éditions Phébus sont pourvues d’un dispositif de protection par filigrane. Ce procédé permet une lecture sur les différents supports disponibles et ne limite pas son utilisation, qui demeure strictement réservée à un usage privé. Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur, nous vous prions par conséquent de ne pas la diffuser, notamment à travers le web ou les réseaux d’échange et de partage de fichiers. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivant du Code de la propriété intellectuelle. ISBN : 978-2-7529-1320-3 Jimmy, Dolly, Evangeline, Dash, Lester : c’est pour vous, les enfants. PROLOGUE LA SANGLE DU MONITORING placée autour de mon ventre façon ceinture de sécurité, j’écoute galoper le cœur de mon bébé comme les sabots d’un cheval miniature. Il respire avec moi, son pouls bien plus réel que sur n’importe laquelle des échographies brumeuses que j’ai passées à douze, vingt ou trente semaines, et qui ressemblaient toutes à des animations de tempête de neige. Le martèlement est véloce, obstiné ; derrière chacune de ces petites pulsations parfaites, je sens s’accomplir ma propre vie, débordante et chaotique. L’écho de cette cavalcade ancestrale semble à des années-lumière du monde médicalisé et contrôlé qui m’entoure. ON SE LAVE LES MAINS, ordonne un écriteau jaune près du lavabo situé dans un coin de la pièce, comme si quelqu’un vous surveillait, la mine sévère et les mains posées sur les hanches, dans la posture que j’adopte avec mes jeunes enfants quand ils refusent de se brosser les dents. Je suis enceinte de trente-huit semaines, à ce stade du marathon où la grossesse me fait l’effet d’une mauvaise blague que je me serais infligée à moi-même. J’ai perdu cette urgence de la huitième, de la treizième, de la trente et unième ou de la trente-deuxième semaine pour vivre à présent une expérience qui n’en finit pas, privée de ma mobilité à mesure que mon ventre se tend, submergée par cette présence envahissante, chaude et lourde qui m’accompagne partout et ne m’amuse plus vraiment. J’avais été inquiète parce que je trouvais que le bébé était trop calme, qu’il avait moins le hoquet, remuait dans mon ventre avec moins de vitalité. C’est mon cinquième enfant, on peut donc dire que je place la barre très haut. J’ai lancé les dés et la chance m’a souri quatre fois en quinze ans : Jimmy, Dolly, Dash et Evangeline. Il me semble que j’ai toujours recherché les sensations fortes à la fois pour me sentir plus vivante et pour oublier les coups durs de l’existence. Je me suis procuré ces sensations via l’adrénaline, le danger, la drogue ou le sexe, mais tout cela n’est rien comparé à l’émotion sauvage d’une fin d’accouchement, moi couverte de sang, le corps écartelé, une vie nouvelle entre mes bras. Je n’ai aucune envie de quitter l’hôpital pour retourner auprès de mes autres enfants, ou de Pete, retrouver les sollicitations incessantes qui me font courir d’un bout à l’autre de la maison, exhumer des chaussures égarées, insérer des petits pieds dans des chaussettes préenroulées, rafraîchir un brocoli fané pour le faire cuire, essuyer du lait renversé, négocier en permanence avec des ados qui veulent que je les conduise en voiture chez un pote ou que je leur achète telle marque de céréales, corriger des exercices de maths de 6e auxquels je ne pige rien, sortir de petits êtres humides et glissants de la baignoire pour les mettre en pyjama, puis descendre de nouveau l’escalier le lendemain matin pour recommencer la même chose. Je veux rester ici, dans ce cocon de douceur et de calme, à imaginer ce bébé qui va bientôt arriver, à écouter les battements de son cœur tout en dormant, en me reposant, exemptée de mon rôle de mère de quatre autres enfants, juste pour quelques heures. Quand je serai prête, il sera bien encore temps de laver et plier des carrés de mousseline, de récupérer la valise de vêtements de bébé au grenier, de laver les draps du couffin, de déposer quelques gouttes d’huile essentielle de lavande sur la couverture en laine ayant par miracle réussi à traverser le temps depuis l’époque où ma propre mère m’enroulait dedans. Il sera encore temps de remplir un sac de voyage de culottes jetables, de ces protections hygiéniques à l’ancienne dans lesquelles on peut perdre des litres de sang et de ces toutes petites couches pour nouveau-nés, si minuscules qu’Evangeline pourrait en mettre à ses poupées. Il sera encore temps de faire tout cela. Pour le moment, cette chambre d’hôpital respire le calme et le pouls du bébé me fait l’effet d’un passeport hypnotique pour le sommeil. Mon téléphone sonne. J’abaisse la sangle du monitoring sous mon ventre et tends la main vers mon sac pour le récupérer. C’est le collège de Jimmy. Je préfère ignorer l’appel, mais lui ne se laisse pas ignorer comme ça. Quand je finis par décrocher, une femme m’enjoint d’un ton pressant de venir sur-le-champ. Mes yeux regardent fixement la couche de