Author/Uploaded by Yakumo Koizumi
Yakumo Koizumi Mononoké, histoires de fantômes japonais Traduit de l’anglais (États-Unis) par Alex Nikolavitch Avant-propos de la première édition La publication d’un nouveau volume des exquises études consacrées au Japon par Lafcadio Hearn1 survient, par une délicate ironie, le mois où le monde est dans l’attente des nouvelles concernant les derniers exploits des cuirassés nippons. Quel que soi...
Yakumo Koizumi Mononoké, histoires de fantômes japonais Traduit de l’anglais (États-Unis) par Alex Nikolavitch Avant-propos de la première édition La publication d’un nouveau volume des exquises études consacrées au Japon par Lafcadio Hearn1 survient, par une délicate ironie, le mois où le monde est dans l’attente des nouvelles concernant les derniers exploits des cuirassés nippons. Quel que soit le résultat du conflit actuel entre la Russie et l’archipel, son sens profond tient à ceci : une nation d’Orient, équipée d’armes occidentales et se parant d’une force de volonté occidentale se mesure délibérément à une grande puissance européenne. Nul n’est assez sage pour prédire le résultat d’un tel conflit et son influence sur notre civilisation. Le mieux que l’on peut faire est d’estimer, aussi intelligemment que possible, les caractéristiques nationales des peuples en présence, en basant nos espoirs et nos peurs sur leurs psychologies respectives plutôt que sur des études purement politiques et statistiques des facteurs impliqués dans la guerre présente. Les Russes, depuis plus d’une génération, ont disposé de porte-parole littéraires qui ont su fasciner le public européen. Les Japonais, de leur côté, ne disposent pas encore de figures nationales universellement reconnues comme Tourgueniev ou Tolstoï. Ils ont besoin d’un interprète. On peut douter que l’Orient puisse trouver un jour d’un passeur aussi doué de perspicacité et de sympathie que Lafcadio Hearn. Il est parvenu à transposer la richesse de la culture japonaise dans une langue occidentale. Son long séjour dans ce pays, sa souplesse d’esprit, son imagination poétique et son style merveilleusement lumineux le rendaient parfait pour la plus délicate des missions littéraires. Il a vu des merveilles et a su les transcrire de façon appropriée. Il n’existe guère d’aspect de la vie japonaise, que ce soit dans les domaines sociaux, politiques ou militaires impliqués dans le conflit actuel avec la Russie, qui ne soit explicité dans l’un ou l’autre des livres avec lesquels il a charmé les lecteurs américains. Il caractérise Kwaidan comme des « histoires et études Avant-propos de l’auteur La plupart des kwaidan (ou contes étranges) qui suivent proviennent d’anciens recueils japonais, comme le Yasôô-Kidan, le Bukkyô-Hyakkwa-Zenshô, le Kokon-Chomonshû, le Tama-Sudaré ou le Hyaku-Monogatari. Certaines histoires pourraient avoir une origine chinoise : le très remarquable Songe d’Akinosuké, par exemple, provient certainement d’une source continentale plus ancienne. Mais, dans chaque cas, le narrateur leur a donné une couleur locale et les a reformulés au point de les naturaliser. Un conte très curieux, Yuki-onna, m’a été raconté par un fermier de Chôfu, Nishitama-gôri, dans la province de Musashi, comme une légende de son village natal. J’ignore si elle a jamais été couchée par écrit en japonais ; mais les croyances extraordinaires dont il témoigne ont certainement existé un peu partout dans l’archipel, et sous bien des formes curieuses… L’incident de Riki-baka est une expérience personnelle que j’ai écrite à peu près exactement comme elle m’est arrivée, ne Kwaidan L’histoire de Mimi-Nashi-Hôïchi Il y a plus de sept siècles, à Dan-no-ura, sur le détroit de Shimonoséki, eut lieu la dernière grande bataille d’un long conflit entre les Heiké, ou clan de Taira, et les Genji, ou clan de Minamoto. Les Heiké y périrent tous, femmes et enfants, y compris Antoku Tennô, le tout jeune empereur. Et ce rivage devint hanté pour les siècles qui suivirent… J’ai déjà évoqué ailleurs les crabes étranges que l’on y trouve, appelés « crabes heiké », qui portent des visages humains sur le dos2. On dit d’eux qu’ils sont les esprits des guerriers heiké tombés au combat. Mais on entend et on voit bien d’autres choses encore le long de cette côte. Lors des nuits les plus sombres, des milliers de feux spectraux flottent au-dessus de la plage ou s’en vont lécher les vagues, des lumières pâles appelées oni-bi, « feux-démons »,