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La Chouette d'or

Author/Uploaded by Isabelle Mayault

Isabelle Mayault ISABELLE MAYAULT La Chouette d’or LA CHOUETTE D’OR roman GALLIMARD Pour ma très chouette famille &mon fiston en or L’espoir est cette chose à plumes – Qui niche dans l’âme – Et chante une mélodie sans paroles – Sans s’arrêter – jamais – Hope is the thing with feathers– That perches in the soul– And sings the tune without the words– And never stops–at all– EMILY DICKINSON Une...

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Isabelle Mayault ISABELLE MAYAULT La Chouette d’or LA CHOUETTE D’OR roman GALLIMARD Pour ma très chouette famille &mon fiston en or L’espoir est cette chose à plumes – Qui niche dans l’âme – Et chante une mélodie sans paroles – Sans s’arrêter – jamais – Hope is the thing with feathers– That perches in the soul– And sings the tune without the words– And never stops–at all– EMILY DICKINSON Une apparition Comment pouvait-elle raconter ce qu’elle avait vu sans avoir l’air d’une dingue, d’une zinzin, d’une pinpin, d’une à qui il manquerait des cases et dont il ne faisait pas de doute que, née un peu plus tôt, elle aurait tâté du bûcher ? Elle ne pouvait pas le dire. Elle ne pouvait vraiment pas. Ce qui était ironique pour quelqu’un qui, comme elle, verbalisait tout, tout le temps, jusqu’à ce que ses interlocuteurs piquent du nez, terrassés par sa glose ; ses associations d’idées longues comme le genre de tapisseries auxquelles on ne s’attelle que quand les hommes sont partis faire la guerre ; sa foutue pensée en arborescence, avec des branches en veux-tu en voilà, et ça bouclait là-dedans, mon Dieu, que ça bouclait. Les mots dont elle remplissait ses journées ne formaient pourtant qu’une modeste forêt de fougères à côté des chênes qui poussaient à l’intérieur d’elle et dont elle savait, pour sa survie sociale, qu’il valait mieux qu’ils restent là, immenses et silencieux, comme des éléphants occupés à dormir dans un fourré par une nuit sans étoiles. Alors oui, on pouvait mettre des mots sur comment le Swiss Air de 17 h 15 avait décollé un vendredi d’octobre au-dessus du Léman en cherchant avec maladresse sa stabilité, dodelinant à gauche, puis à droite, puis à gauche, puis à droite, comme une jeune oie sauvage, laissant derrière lui, dans les trouées des nuages, les eaux grises et scintillantes du lac, mais plus difficilement sur ce qui avait poussé Claudia à prendre cet avion. Certains auraient dit qu’elle avait été victime d’une hallucination, d’autres, moins branchés vulgarisation lacanienne, divans à frange, lapsus et tout le grand saint-frusquin, se seraient peut-être contentés de parler de « vision », même si le mot manquait de panache. Trop générique, trop neutre ? Enfin, c’était un début. Elle savait ce qu’on pouvait en penser, et savait surtout ce qu’on faisait aux femmes qui voyaient des choses invisibles. Quand on ne les canonisait pas, comme cette chère Bernadette Soubirous, on les enfermait, et Claudia était certaine, de ce savoir vertical dont on embrasse parfois sa propre destinée, qu’il n’était pas dans ses cartes de devenir une sainte. Elle-même devait reconnaître avoir été prise de court. Jusqu’ici, elle avait pressenti, et plus rarement prédit, quelques trucs. Des petits, des gros. Bon. Elle avait fait des rêves que les plus adeptes du bord mystique de ce monde disaient prémonitoires. Et, en quelques occasions, entendu des déplacements dans des espaces pourtant vides. Mais jamais les pouvoirs de Claudia ne s’étaient étendus au fait de voir. Elle avait vu – elle allait dire en plein jour ; disons, plutôt, dans la luminosité correcte mais sur le déclin d’un jeudi soir d’octobre, à ce moment où quelque chose retombe, s’apaise, et qui la trouvait on ne peut plus réveillée –, elle avait vu… Réveillée, oui. Elle venait justement de longer la rade pour faire le plein d’air frais et admirer le lac, qu’on disait placide seulement quand on n’avait pas la chance, comme elle, de le fréquenter au quotidien, auquel cas on était bien obligé de noter que, là-dedans, tout n’était que rébellion et sauvagerie. Puis elle avait pris le tramway, signe d’une santé physique et mentale de fer. Elle l’entendait encore glisser sur ses rails quand elle était arrivée chez elle et avait vu, l’écharpe toujours autour du cou, les clés pas encore posées sur la commode, quand elle avait vu, comme elle voyait sa propre main, assis dans le fauteuil que lui avait laissé son ami Kim juste avant de partir s’installer au Yémen… le Péruvien. Elle l’avait reconnu tout de suite, bien qu’elle ne l’eût pas recroisé depuis vingt ans, et pas beaucoup fréquenté à l’époque non plus, à l’aube de cet été qui pour les Français deviendrait mythique, l’été nonante-huit. En marge de la Coupe du monde, à l’issue de laquelle on pourrait enfin coudre une étoile sur le maillot des Bleus, s’étaient déroulés des événements certes plus confidentiels à l’échelle du globe mais qui avaient durablement marqué la mémoire collective de La Sioule, cette commune française où Claudia avait été envoyée à la recherche du Péruvien. De toute évidence, celui-ci ne comprenait pas plus qu’elle ce qu’il fabriquait dans ce fauteuil. Il la regardait de dessous sa grosse frange, avec son air perdu de petit enfant vieilli. Et alors qu’elle tentait d’organiser le chaos des phrases que la surprise, que le choc de le voir faisaient surgir en elle, mélange fracassé de pourquoi, de comment, de auriez-vous l’obligeance de m’expliquer ce que, elle ferma les yeux une seconde – elle ne dormait pas, elle en aurait juré, d’ailleurs elle se tenait debout, bien solide sur ses deux jambes, et se portait, à part ça, très bien, pas le plus petit rhume ou mal de gorge, zéro température, un vrai bourgeon de printemps, à part la vieillerie – et quand elle les rouvrit, le fauteuil était vide. Elle n’osa pas s’asseoir dedans : on ne savait jamais. Elle s’assit donc par terre, sur le parquet, l’écharpe toujours autour du cou, pas vraiment à genoux ni non plus accroupie, se demandant si, comme le train siffle toujours deux fois, les apparitions pouvaient se répéter, si elles avaient ce pouvoir, ou si le sens, au contraire, était tout entier contenu dans cette manifestation unique, tchak, comme ces mots que sa fille, encore bébé, prononçait sans jamais les redire. Elle aurait apprécié, en fait, que le fauteuil se remplisse à nouveau du Péruvien, pour la confirmation. Mais la confirmation de quoi, voilà une question qui ouvrait sur

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