L'académicien de juillet

Du même auteur Le Soleil de Monédière, De Borée, 1994, prix du roman d’Auvergne La Dernière Estive, Antonin Malroux, 1997 La Noisetière, Albin Michel, 1998, prix Lucien-Gachon 2000, prix du Terroir 2002 du salon de Cosne-sur-Loire Le Moulin des rêves, Albin Michel, 2000, prix du Terroir Rosine-Perrier 2002 du salon de Hermillon L’Enfance inachevée, Albin Michel, 2001 La Vallée d’émeraude, Albin Michel, 2003 Un fils pour mes terres, Albin Michel, 2004 Les Trois Marches, Albin Michel, 2005 La Fille des eaux vives, Archipel, 2007 Les Chemins de la communale, Albin Michel, 2007, prix www.salondulivre.net 2008 Le Jardin de Louise, Albin Michel, 2008 Une poignée de blé, Albin Michel, 2009 La Grange au foin, Albin Michel, 2010, prix Arverne 2011 La Promesse des lilas, Calmann-Lévy, 2011 La Cascade des loups, Calmann-Lévy, 2012 La Pierre marquée, Calmann-Lévy, 2013 Ode au Cantal, Éditions de la Flandonnière, 2013 L’Homme aux ciseaux d’argent, Calmann-Lévy, 2014 Les Prés refleuriront, Calmann-Lévy, 2015 Fenêtre sur village, Calmann-Lévy, 2016 Marie des Adrets, Calmann-Lévy, 2016 À la découverte des burons, La Vache qui lit, 2017 L’Espoir de belles aurores, Calmann-Lévy, 2017 Le Pain de paille, Calmann-Lévy, 2018 Le Cœur de mon père, Calmann-Lévy, 2019 Le Charpentier du paradis, Calmann-Lévy, 2020 Le Rêve de Marie-Hélise, De Borée, 2020 La Source aux Trois Fontaines, De Borée, 2021 Un soleil pour chaque jour, Calmann-Lévy, 2022 Antonin Malroux L’académiciende juillet Depuis 2016, l’école communale de Boisset, village natal de l’auteur, est devenue l’école Antonin-Malroux. © Calmann-Lévy, 2023 COUVERTURE Maquette : Le Petit Atelier Photographie : © Christian GUY/ hemis.fr ISBN 978-2-7021-8638-1 Prologue Une silhouette : celle d’une femme assise sur le vieux banc de pierre calé contre la maison et qui semble attendre. Entourée de silence, oubliée de ces bruits qui ne veulent plus venir bourdonner à son cœur, à son âme. Les jambes croisées, les pieds glissés dans de pauvres chaussures, Pascaline attend, comme presque chaque jour, une trique à la main afin de chasser un indésirable visiteur ailé, tourbillonnant. Les longs cheveux blancs qui tombent sur ses épaules lui donnent l’apparence d’une vieille folle. Si, au moins, elle avait eu les yeux bleus, aurait-elle été plus belle ? Les siens étaient verts, une teinte qui, selon certains, ne s’accordait pas à celle de sa coiffure. Pascaline Gravierse laisse passer le temps à l’ombre de sa maison, de sa propriété, composée d’une grande prairie, d’un champ, d’un jardin et d’un petit bois auquel elle tient tant, sans oublier une grange et une étable. L’endroit porte le nom de La Regarde. C’est là tout son bien. Toutes les veuves du pays n’en ont pas autant. Alors, même dans son silence, elle ne se trouve pas malheureuse. Les gens d’ici, surtout les femmes, à qui l’on n’a guère fait de cadeaux dans la vie, ont de bien pire vieillesse. Son chien Canou ne s’éloigne guère, sauf si ses obligations de mâle l’incitent à vagabonder. Dans ces cas-là, il s’échappe à la nuit tombée vers les belles qui l’attendent dans les alentours. Pascaline observe les bois, les champs et, surtout, cette merveilleuse frondaison cantalienne, son bois de châtaigniers, son trésor, aime-t-elle dire. En cette fin d’après-midi, alors que les rayons du soleil caressent les feuillages luisants et verdoyants, elle veut, emportée par de douces pensées, se repasser l’histoire de sa vie, comme on tourne les pages d’un livre, ici, près de ce petit bourg appelé Beau-Village-en-Châtaigneraie ou, plus simplement, Beau-Village. Ceux qui fréquentent l’auteur auront naturellement la tentation de rapprocher ce village de celui de Boisset où il est né, tout près des châtaigniers. Ces lecteurs ne se tromperont guère et il ne tiendra qu’à eux de se rendre là-bas pour y connaître l’ivresse qui s’empare des âmes lorsque ces arbres en pleine floraison embaument le pays tout entier… 1 Entre monts et vallées, où chantent des ruisseaux et s’écoulent des rivières, vit et s’épanouit l’Auvergne. On y trouve beaucoup de forêts, riches d’essences diverses, allant des chênes, des hêtres, aux bouleaux, aux sapins, mais surtout, ici, peuplées de châtaigniers. De beaux gaves apportent l’essentiel à la vie de la terre, qu’elle soit composée de champs, de prairies ou de jardins. Les montagnes avec leurs pentes d’estives dominent les reliefs. Elles seules peuvent tutoyer le ciel et surtout les nuages. Les Auvergnats, accrochés à leur passé et durs à la tâche, se contentent de ce qui leur tombe en héritage ou, en désespoir d’attente, gagnent leur pain chez d’autres paysans où certains arrivent à prendre pour épouse une des filles du propriétaire, ce qui ne facilite pas toujours les rapports familiaux. Néanmoins, certaines familles « s’en tirent » assez bien comme le souligne l’expression, hardie certes, mais appropriée. Pascaline Moinot avait été placée à dix-sept ans chez des fermiers rigoureux : les Gravierse. Ça ne roulait pas sur l’or, tant s’en faut, mais il y avait bien pire dans ce pays pauvre où chacun se satisfaisait de ce qui lui assurait un avenir convenable et, pourquoi pas, un bout de bien-être. Elle avait été envoyée là à la suite du décès de sa mère. Alors qu’elle n’avait que douze ans, son père avait été tué, écrasé par un troupeau fou dans un chemin étroit en limite du canton. Quant à sa mère, une maladie étrange venait de l’emporter. Les soins médicaux n’avaient eu qu’un effet, celui de retarder sa mort de quelques jours. L’Assistance publique avait pris cette décision car les Gravierse étaient recommandés par le maire du village. Cette famille exploitait un beau domaine, composé de deux anciennes fermes, presque à touche-touche, l’une appelée Le Plomb et l’autre La Regarde, unifiées par le hasard et les malheurs tombés sur les uns ou sur les autres. Les Gravierse, propriétaires, avaient deux fils, Fernand, l’aîné, et Jules, le cadet. Il fallait bien que tout se passe pour le mieux et les patrons surveillaient leurs garçons, soucieux d’éviter toute incartade avec Pascaline. Un matin, Fernand disparut en laissant un simple mot sur un coin de table. Trois lignes lui avaient suffi pour expliquer bien maladroitement sa décision :