Le livre de Liane

SOMMAIRE Titre I - Apnée II - Découvrir III - Persévérer IV - Naufrage V - Encaisser VI - Près du but VII - Espoir Postface Le harcèlement scolaire en chiffres Dans la même collection Copyright Ce livre a été écrit à quatre mains. L’une des autrices est vivante, l’autre est décédée. La première a subi des violences, l’autre a eu le cœur brisé. Pour les deux, le chemin vers le bonheur a été chaotique. L’une a su le retrouver, l’autre a échoué. Les deux narratrices sont des sœurs. Ce roman est inspiré d’une histoire vraie. I APNÉE Louise Nous sommes le 1er mai 2018. À minuit, j’aurai vingt-cinq ans. Pourtant, c’est une soirée comme les autres. Vers 23 heures, nous nous mettons au lit, et James s’endort aussitôt. Je vis à Singapour, loin de ma famille. Il me tarde de l’avoir au téléphone. En attendant, j’observe les lumières de la ville. Les lasers de l’hôtel Marina Bay illuminent le ciel. Notre quotidien en Asie est doux et facile, nous avons de la chance. Notre studio n’est pas grand, mais nous avons des amis, une jolie piscine, et il fait beau chaque jour. Le week-end, nous allons bronzer sur les plages de Sentosa. Parfois, nous voyageons en Malaisie. James et moi venons de célébrer nos fiançailles, et l’été à venir s’annonce plein de promesses. Du coin de l’œil, je surveille mon portable… J’ai hâte de savoir qui me souhaitera mon anniversaire en premier. Minuit. L’écran jette une lumière bleutée dans l’obscurité. Un message de mon père : « Louise chérie, rappelle-moi. » Je secoue la tête en souriant : mon père qui m’écrit le premier ! Je n’aurais pas parié là-dessus. Je fais durer le plaisir. « Mmm… J’allais dormir, là, c’est important ? » La réponse est immédiate. « C’est sérieux, là, appelle ! » Quelque chose frémit au creux de ma poitrine. Je pose les pieds hors du lit, j’allume ma lampe de chevet et je m’éclipse vers le salon. Déjà, l’écran se rallume : « Allez, appelle-moi. » Je viens de vivre le dernier moment d’insouciance de toute ma vie. À partir de là, tout s’enchaîne. Je déverrouille l’iPhone qui, presque instantanément, se met à sonner. En décrochant, je suis déstabilisée par la voix grave de mon père. Je n’entends que les deux premières phrases : — Louise, c’est papa… Ta sœur Liane vient de se suicider. Ma vue se brouille, c’est le chaos dans mon cerveau. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe. À l’autre bout, je distingue des cris, des bruits de sirène. Je dis à mon père : — Emmène-la à l’hôpital ! Il me répond à peine. Je sens à sa voix qu’il est complètement impuissant, et moi je ne veux pas me résigner. Le téléphone se remet à vibrer : ce sont les messages d’anniversaire qui arrivent. Dans le combiné, la voix parle encore. Je ne perçois plus qu’un long bourdonnement. Lentement, je lève les yeux. Face à moi, James murmure : — Tout va bien ? Je secoue la tête. — Non… Je crois… Il a dit… Je reprends ma respiration. D’un souffle, je balbutie : — Je ne sais pas… Il dit que c’est fini. Il dit que ma sœur s’est suicidée. Un court instant, nos regards se percutent. Et puis le son revient. Une voix s’agite : elle vient du téléphone. Je m’entends demander : — Je ne comprends pas, c’est pas possible ! Tu es sûr, papa ? As-tu vu Liane par toi-même ? James a les larmes aux yeux. Paniquée, je hurle : — Mais enfin, papa, garde espoir ! Ce n’est peut-être pas perdu ! — Ma chérie… je suis sur place, on est arrivés trop tard. — Tu n’en sais rien ! Emmène-la à l’hôpital. S’il te plaît, dépêche-toi ! Mes jambes sont de coton, mais mes pieds pèsent des tonnes. Je suis loin, si loin de la France. Dix mille kilomètres me séparent de mon pays. Dans le haut-parleur, la voix a pris un ton résigné. Elle répète en boucle : — Le corps va être emmené par les pompiers. C’est terminé, elle est partie. Je suis désolé. Ensuite, c’est flou. Je crois que James m’attire à lui et je reste dans ses bras un moment. Il me semble que ça s’est déroulé ainsi, mais je n’en suis pas certaine. Ce qui est sûr en revanche, c’est que James finit par demander : — Louise… que veux-tu faire ? — Je ne sais pas… Je ne comprends pas… Progressivement, mes idées se font plus claires. Singapour est à seize heures de vol de la France. Et c’est là-bas que je dois me rendre. Déjà, je n’entends plus mon père, qui parle toujours dans le combiné. Son intonation est étrange, presque déformée. Comme s’il s’adressait à lui-même. Sans prévenir, je coupe la communication. Un court instant, le temps se fige, le silence envahit tout. Et puis soudain quelqu’un crie. Je crois que c’est moi. Un cri bestial, qui jaillit de mon ventre. Un cri de rage, de souffrance, d’impuissance. Le téléphone se fracasse sur le sol du studio. Plus de SMS, plus de coups de fil, plus d’anniversaire. Document Attestation reçue par la famille deux semaines plus tard. Louise Mon corps est recroquevillé sur le carrelage de la cuisine, les bras autour des jambes, la tête relevée. James s’est agenouillé à ma hauteur. J’affirme d’une voix claire : — On rentre en France. Réserve nos billets d’avion. Mon fiancé ne se formalise pas de ce ton autoritaire. Il ne demande pas qui va les payer, ces billets. Il s’abstient même de mentionner qu’il est déjà minuit passé, et qu’à Singapour aucun vol pour Paris ne décolle à une heure si tardive. De fait, James semble surtout soulagé de me voir me relever. Il attrape son ordinateur, et les cliquetis du clavier envahissent le studio. Liane1 Témoignage manuscrit retrouvé près du corps par les pompiers. « Juste avant de le faire, j’ai pleuré, aussi.