Le Pain et le Vin Cover Image


Le Pain et le Vin

Author/Uploaded by Ignazio Silone

Le Pain et le VinPréfaceIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVIIXVIIIXIXXXXXIXXIIXXIIIXXIVXXVXXVIXXVIIXXVIIIXXIXAchevé de numériser Title Page Cover Ignazio Silone Le Pain et le Vin Traduit de l’italien par Jean-Paul Samson Éditions de L’Izoard Préface Qu’un écrivain voie une personne inconnue plongée dans un de ses livres n’a rien d’exceptionnel ; pourtant, lorsque, voici déjà bien des années,...

Views 32065
Downloads 3890
File size 355.7 KB

Content Preview

Le Pain et le VinPréfaceIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVIIXVIIIXIXXXXXIXXIIXXIIIXXIVXXVXXVIXXVIIXXVIIIXXIXAchevé de numériser Title Page Cover Ignazio Silone Le Pain et le Vin Traduit de l’italien par Jean-Paul Samson Éditions de L’Izoard Préface Qu’un écrivain voie une personne inconnue plongée dans un de ses livres n’a rien d’exceptionnel ; pourtant, lorsque, voici déjà bien des années, il m’arriva un fait de ce genre, j’en reçus une impression dont je me souviens encore, en raison, peut-être, d’un concours de circonstances dont je ne pris pas alors conscience. Je me trouvais dans le train, entre Zurich et Lugano, assis dans un compartiment désert. À l’une des gares qui jalonnent le parcours, monta dans mon compartiment une femme âgée, modestement vêtue, qui, après m’avoir salué d’un bref hochement de tête, prit place à côté de la fenêtre, devant moi. À peine assise, elle sortit un livre de son sac de voyage et l’ouvrit à la page marquée par un signet. J’avais encore plusieurs journaux et revues à lire et je ne prêtai pas davantage attention à ma compagne de voyage. Mais, au bout d’un moment, mon regard fut attiré par la couverture du livre qu’elle lisait, et je m’aperçus alors qu’il s’agissait de l’édition allemande de mon roman Brot und Wein, sorti quelque deux ans auparavant. Je mis alors journaux et revues de côté et commençai à observer, intrigué, la femme qui me faisait face. Elle était vêtue et coiffée avec une extrême simplicité, sans ornement aucun, ainsi qu’il est d’usage à la campagne, et en particulier dans les cantons protestants. Malgré ses cheveux gris, son teint gardait une certaine fraîcheur et ses traits étaient réguliers, finement dessinés ; son visage avait une expression intelligente, ouverte, sympathique ; dans sa jeunesse, cette femme avait dû être belle. Je l’imaginais assez bien maîtresse d’école en retraite ou femme de médecin ; c’était, selon toutes probabilités, une femme forte et équilibrée, que les souffrances, néanmoins, n’avaient pas épargnée. Sous prétexte de déposer mes revues dans le filet, je me levai pour voir où elle en était dans la lecture de mon roman. Le chapitre en question m’était resté particulièrement bien en mémoire en raison de la fatigue qu’il m’avait coûté. Dès ce moment, tout en faisant semblant de parcourir un journal du regard, je me mis à suivre mentalement, page par page, je dirais presque ligne par ligne, la lecture de l’inconnue. Son visage était apparemment impassible ; deux fois seulement elle ferma les yeux pendant quelques instants, puis se remit à lire. J’éprouvais une curieuse impression. J’étais en face d’une personne inconnue à laquelle je racontais en secret une longue histoire. Par chance, cette édition de mon roman ne portait pas la photographie de l’auteur ; si la femme m’avait reconnu, quel n’eût pas été mon embarras ! Un étrange malaise, en effet, s’insinuait dans mon esprit. La page que la femme lisait maintenant ne me satisfaisait pas du tout, elle me semblait même parfaitement sotte, en cet instant. Pourquoi l’avais-je écrite ? Si j’avais pu prévoir que des personnes semblables me liraient, pensais-je à part moi, j’aurais certainement retiré cette page, j’en aurais laissé d’autres de côté et j’aurais réfléchi davantage sur certaines expressions. Pourquoi, lorsqu’ils écrivent un livre, la plupart des écrivains pensent-ils le plus souvent à leurs confrères et aux critiques, qui lisent une centaine de livres par an, au lieu de penser aux inconnus pour lesquels le livre peut avoir une importance déterminante ? Peut-être n’avais-je jamais senti, de façon aussi directe et précise, la responsabilité du métier d’écrivain, encore que ces sentiments ne fussent pas nouveaux pour moi. Me revint en mémoire l’embarras où m’avait plongé, un an avant, la lettre d’un ouvrier italien qui m’écrivait au nom d’un groupe de camarades de travail, émigrés comme lui en Suisse. Ils avaient longuement discuté une certaine phrase de mon livre et, n’étant pas d’accord sur la façon de l’entendre, ils avaient décidé de s’adresser à l’auteur. Et moi, par contre, j’avais écrit cette phrase sans y penser, distraitement… La femme descendit du train avant moi et, tout le temps que continua mon voyage, je ne cessai de penser à la dignité, à la puissance de la littérature et à l’indignité de la plupart des écrivains, moi y compris. Quoi qu’il en soit, cette rencontre fut à l’origine de ma décision de relire avec un esprit critique le Pain et le Vin. Je l’avais écrit, ex abundantia cordis, immédiatement après l’occupation fasciste de l’Abyssinie et lors des grands procès que Staline avait mis en scène à Moscou pour détruire les derniers résidus d’opposition. Il était difficile d’imaginer concours plus déprimant de circonstances négatives. Le comportement inhumain du général Graziani à l’égard des combattants et des civils éthiopiens, l’euphorie engendrée chez nombre d’Italiens par la conquête de l’Empire, la passivité de la majorité de la population, l’impuissance des antifascistes, étaient autant de nouvelles qui me remplissaient d’un profond sentiment de honte. À cette honte s’ajoutaient l’horreur et le dégoût d’avoir, durant toute ma jeunesse, servi un idéal révolutionnaire qui se révélait n’être, sous sa forme stalinienne, qu’« un fascisme rouge », ainsi que je le définis à l’époque. Partant, mon état d’âme était plus porté à l’emphase, au sarcasme, au mélodrame qu’à une paisible narration. Je dois préciser en outre que l’exceptionnel, et totalement inattendu, succès du livre ne me faisait guère illusion car je savais pertinemment que les défauts d’un roman contribuent autant, sinon plus, à sa fortune que ses mérites. Mais avais-je le droit de reprendre mon ouvrage pour le corriger ? Bien que des exemples, souvent illustres, eussent plaidé en faveur d’un remaniement, j’avais alors tendance à estimer qu’un livre, une fois édité, n’appartient plus à son auteur mais au public. Le problème devait se poser de nouveau à moi, sous un jour différent, après la chute du fascisme, lorsque mes livres purent être imprimés pour la première fois en Italie. Ne devais-je point saisir au vol l’occasion que m’offrait un retard préjudiciable à tous autres égards ? C’est donc la conscience tranquille que je

More eBooks

Prince of Deception Cover Image
Prince of Deception

Author: Jenny Hickman

Year: 2023

Views: 47722

Read More
Silent Screams Cover Image
Silent Screams

Author: May Black

Year: 2023

Views: 45363

Read More
His Brutal Heart Cover Image
His Brutal Heart

Author: Leighton Greene

Year: 2023

Views: 53820

Read More
The Reunion Cover Image
The Reunion

Author: A. K. Steel

Year: 2023

Views: 50393

Read More
Siren Cover Image
Siren

Author: R.J. Lewis; A.R. Rose

Year: 2023

Views: 25588

Read More
Wicked Intentions Cover Image
Wicked Intentions

Author: KB Winters

Year: 2023

Views: 57624

Read More
Power Cover Image
Power

Author: Eve Newton

Year: 2023

Views: 54747

Read More
La isla del doctor Schubert Cover Image
La isla del doctor Schubert

Author: Karina Sainz Borgo

Year: 2023

Views: 2258

Read More
Homebodies Cover Image
Homebodies

Author: Tembe Denton-Hurst

Year: 2023

Views: 22456

Read More
A Shadow of Betrayal Cover Image
A Shadow of Betrayal

Author: B.M. Clemton

Year: 2023

Views: 41494

Read More