Le passager

Du même auteur L’Obscurité du dehors Actes Sud, 1991 Points no 567 Un enfant de Dieu Actes Sud, 1992 Points no 611 De si jolis chevaux (La Trilogie des confins I) Actes Sud, 1993 Points no 490 Suttree Actes Sud, 1994 Points no 489 Le Gardien du verger Éditions de l’Olivier, 1996 Points no 685 Le Grand Passage (La Trilogie des confins II) Éditions de l’Olivier, 1997 Points no 751 Méridien de sang Éditions de l’Olivier, 1998 Points no 827 Des villes dans la plaine (La Trilogie des confins III) Éditions de l’Olivier, 1999 Points no 961 Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme Éditions de l’Olivier, 2007 Points no 1829 La Route Éditions de l’Olivier, 2008 Points no 2156 La Trilogie des confins Éditions de l’Olivier, 2011 Les personnages, lieux et situations décrits dans ce livre sont imaginairesou utilisés de manière fictive : toute ressemblance avec des personnagesou des événements existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. L’édition originale de cet ouvragea paru chez Afred A. Knopf en 2022,sous le titre : The Passenger. ISBN 978.2.8236.1968.3 © Cormac McCarthy, 2022. © Éditions de l’Olivierpour l’édition en langue française, 2023. Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. TABLE DES MATIÈRES Titre Du même auteur Copyright Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre IV Chapitre V Chapitre VI Chapitre VII Chapitre VIII Chapitre IX Chapitre X Sources et remerciements Il avait un peu neigé dans la nuit et ses cheveux gelés étaient d’or et de cristal et ses yeux glacés et durs comme pierre. Une de ses bottes jaunes avait glissé et se dressait dans la neige en dessous d’elle. Son manteau se dessinait saupoudré de neige là où elle l’avait abandonné et elle ne portait plus qu’une robe blanche et elle pendait parmi les arbres de l’hiver, poteaux nus et gris, la tête inclinée et les paumes légèrement ouvertes comme ces statues œcuméniques qui réclament par leur attitude qu’on prenne en compte leur histoire. Qu’on prenne en compte les fondations du monde qui puise son essence dans le chagrin de ses créatures. Le chasseur s’agenouilla et ficha son fusil bien droit dans la neige et retira ses gants et les laissa tomber au sol et joignit les mains l’une sur l’autre. Il se dit qu’il devrait prier mais il n’avait pas de prière pour une chose pareille. Il inclina la tête. Tour d’Ivoire, dit-il. Maison d’Or. Longtemps il resta à genoux. Quand il rouvrit les yeux il vit une forme toute fine à demi enfouie dans la neige et il se pencha et la dégagea et découvrit une chaînette d’or à laquelle pendaient une clé d’acier et une bague d’or blanc. Il les glissa dans la poche de sa veste de chasse. Dans la nuit il avait entendu le vent. Le vent à l’ouvrage. Le fracas d’une poubelle sur les briques derrière sa maison. La neige qui soufflait dans le noir de la forêt. Il regarda au fond de ces yeux d’émail froids qui brillaient d’un éclat bleu dans la maigre lumière de l’hiver. Elle avait ceint sa robe d’un large ruban rouge pour qu’on la repère. Un brin de couleur dans cette désolation zélée. En ce jour de Noël. Ce Noël froid et presque tu. I On serait donc à Chicago au dernier hiver de sa vie. Dans une semaine, elle retournerait à Stella Maris et de là irait se perdre dans les mornes forêts du Wisconsin. Le Thalidomide Kid la dénicha dans un meublé de Clark Street. Près du North Side. Il frappa à la porte. Pas dans ses habitudes. Elle savait qui c’était, bien sûr. Elle s’attendait à le voir. D’ailleurs ce n’étaient pas vraiment des coups à la porte. Plutôt de vagues gifles. Il se mit à faire les cent pas au pied du lit. Il s’arrêta pour parler puis se ravisa et reprit ses va-et-vient en se pétrissant les mains comme un méchant de film muet. Sauf que bien sûr ce n’étaient pas vraiment des mains. Plutôt des nageoires. Un peu comme un phoque. Et dans la gauche il blottit son menton en se figeant pour la dévisager. Me revoilà à la demande générale, dit-il. En chair et en os. Tu as mis le temps. Ouais. On s’est tapé tous les feux rouges. Comment tu as su dans quelle chambre j’étais ? Fastoche. La chambre 2-20. J’ai deviné. Comment tu te débrouilles pour le fric ? Il m’en reste. Le Kid regarda autour de lui. J’aime bien la déco, bravo. Tu pourras peut-être me montrer le jardin quand on aura pris le thé. Quels sont tes projets ? Mes projets, je crois que tu les connais. Mouais. Pas très prometteurs, hein ? Rien n’est éternel. Tu vas laisser un mot ? J’écris une lettre à mon frère. Une chronique hivernale, je parie. Le Kid regardait par la fenêtre le froid mordant. Le parc enneigé et le lac gelé au-delà. Bref, fit-il. C’est la vie. Qu’est-ce qu’on peut dire de plus ? C’est pas fait pour tout le monde. Dieu que les hivers vous confinent. C’est tout ? Tout quoi ? Tout ce que tu as à me dire. Laisse-moi réfléchir. Il s’était remis à faire les cent pas. Puis il s’arrêta. Et si on prenait la poudre d’escampette ? Ça ne changerait rien. Et si on restait ? Pour me fader encore huit ans avec toi et tes amis à quatre sous ? Neuf ans, madame la matheuse… Soit, neuf ans. Et pourquoi pas ? Non, merci, sans façons. Il reprit ses va-et-vient. En frottant lentement sa petite tête couturée de cicatrices. À croire qu’on l’avait mis au monde avec une pince à glaçons. De nouveau il s’arrêta à la fenêtre. On va te manquer, dit-il. On en a fait, du chemin ensemble. C’est sûr. Un vrai bonheur. Écoute. Tout ça n’est pas la question. Personne ne va manquer à personne. On n’était pas obligés de venir, tu sais. Je ne sais pas ce que vous étiez censés faire