L’envol

De la même autrice Mémé dans les orties, Michel Lafon, 2015 ; LGF, 2016. Nos adorables belles-filles, Michel Lafon, 2016 ; rebaptisé En voiture Simone, LGF, 2017. Minute, papillon, Fayard, 2017 ; LGF, 2018. Au petit bonheur la chance, Fayard, 2018 ; LGF, 2019. La Cerise sur le gâteau, Fayard, 2019 ; LGF, 2020. Né sous une bonne étoile, Fayard, 2020 ; LGF, 2021. Le Tourbillon de la vie, Fayard, 2021 ; LGF, 2022. La Ritournelle, Fayard, 2022 ; LGF, 2023. PROLOGUE Lili Quand je pense à ma mère, j’ai envie de pleurer. Sa vie aura été un grand gâchis. Un gâchis d’amour. Elle aurait pu avoir une famille normale, une famille comme les autres, mais non, elle m’a eue, moi. Parfois je me dis que cela aurait été mieux pour tout le monde qu’elle ne soit jamais ma mère. PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE 1 Gabrielle « Il est où le papa de Lili ? » Cette question, je ne l’attendais pas. Du moins pas si tôt. Elle a toujours été étonnante, ma fille. Je n’ai pas su quoi répondre, même si au fond je savais que je ne pourrais jamais lui mentir. À 2 ans et demi comme à 30. Entre nous, c’était la vérité, rien que la vérité. Même si elle faisait mal, même si on ne pouvait pas l’expliquer. Alors, je l’ai regardée droit dans les yeux et je lui ai dit : « Papa est parti. » Lili « C’est quoi un papa ? » a demandé, un jour, mon enseignante de maternelle. Au début, j’ai cru qu’elle plaisantait. Elle en voyait tous les matins, des papas. Et puis, elle aurait dû le savoir : les maîtresses savent tout. Mes camarades de classe essayaient de répondre mais, bizarrement, aucun ne disait la même chose. Quand mon tour est venu, j’ai senti dans les yeux de la maîtresse qu’elle voulait de l’aide, alors j’ai dit : « Un papa, c’est quelqu’un qui n’est jamais là. C’est un peu comme l’homme invisible, je crois. » Gabrielle Quand je lui ai dit « Papa est parti », je me souviens, Lili était assise par terre en train de dessiner – c’était sa place préférée, alors que la table était juste à côté –, et elle s’est levée d’un bond. Elle a commencé à ouvrir toutes les portes, tous les placards, à tourner en rond comme un rat de laboratoire, puis elle a enlevé ses chaussons mauves, mis ses chaussures et a ouvert la porte de notre appartement. Je me souviendrai toujours lui avoir demandé : « Mais qu’est-ce que tu fais, Lili ? » Et de sa réponse : « Bah, je cherche CHAPITRE 2 Gabrielle La première nuit a été horrible. Ils me l’ont prise, enlevée et l’ont mise dans une couveuse, branchée à tout un tas de tuyaux. Je voyais son minuscule torse se soulever, et moi, derrière la vitre, je pleurais. Premier jour, premier échec. Lili J’étais arrivée en avance. Pressée, je crois, de commencer à vivre, et surtout de rencontrer ma mère. Gabrielle Trop petite, trop maigre, trop fragile. Parce que trop tôt. Je n’avais pas su la retenir, la protéger. J’aurais dû tenir un mois encore. La garder au chaud dans mon ventre. Une machine la raccrochait à la vie. Une machine prenait le relais là où moi j’avais échoué. Toute la nuit, je suis restée derrière la vitre, à prier, espérer, attendre. Et à ce moment précis, j’ai su que ma vie avait changé à jamais. J’étais devenue vulnérable. Lili Ma mère a toujours été angoissée. Pour tout, pour rien. Je ne sais pas pourquoi, cela doit être dans sa nature. Moi, je lui dis qu’à force elle va se déclencher quelque chose. À ne pas dormir la nuit, à faire des listes de tout – « ne pas oublier de rappeler l’hôpital Necker pour la visite de contrôle dans six mois », « ne pas oublier de confirmer la colonie de vacances en juillet », « ne pas oublier de prendre rendez-vous pour la prévisite de la voiture avant le contrôle technique », « ne pas oublier d’acheter du pain de mie pour les croque-monsieur de Lili… ». Avec ma mère, c’étaient « les corvées d’abord, les plaisirs après ». Et son plus grand plaisir, c’était de rayer les choses de sa liste. L’ennui, c’est que tous les jours, il y en avait de nouvelles. Alors, je n’ai jamais vu ma mère se reposer, ne pas être