Les amants de Casablanca Cover Image


Les amants de Casablanca

Author/Uploaded by Tahar Ben Jelloun

Tahar Ben Jelloun TAHAR BEN JELLOUN de l’Académie Goncourt Les amants de Casablanca LES AMANTS DE CASABLANCA roman GALLIMARD I LE COUPLE 1 2016 Ils avaient regardé ensemble Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman. Ils étaient jeunes et amoureux. Très amoureux. Ils avaient trouvé ce film fort et désespéré. Ils en avaient ri. Ils venaient juste de se marier et, leurs études terminées, chacun en...

Views 13477
Downloads 2964
File size 288.5 KB

Content Preview

Tahar Ben Jelloun TAHAR BEN JELLOUN de l’Académie Goncourt Les amants de Casablanca LES AMANTS DE CASABLANCA roman GALLIMARD I LE COUPLE 1 2016 Ils avaient regardé ensemble Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman. Ils étaient jeunes et amoureux. Très amoureux. Ils avaient trouvé ce film fort et désespéré. Ils en avaient ri. Ils venaient juste de se marier et, leurs études terminées, chacun entrait dans la vie active. Lui comme médecin pédiatre, elle, pharmacienne. Ce fut son père qui lui acheta la pharmacie Derb Ghellef dans un des quartiers les plus vivants du centre-ville, dans la médina de Casablanca. Lui, reprit le cabinet de son oncle qui avait une clientèle fidèle. La vie était facile, le ciel d’un bleu limpide et la paix régnait sur leur monde. Ils avaient ri à la fin du film, convaincus que cela ne leur arriverait jamais. Eux, c’était du solide. Et puis ils appartenaient à des familles où l’on ne divorçait pas, où l’infidélité était de l’ordre de l’inconcevable. La famille était la base de tout, on ne faisait rien en dehors. Fès, dont étaient originaires leurs parents, est la ville de la tradition et de l’authenticité. On ne badine pas avec ses valeurs. Les Fassis ne se mélangent pas et ont peur du changement. Ce sont des conservateurs. Ils se marient entre eux, se fréquentent entre eux. Quand, au début des années cinquante, les affaires ont périclité, ils ont tous ou presque émigré à Casablanca où ils ont recréé non pas la ville de Fès, mais son esprit, ses coutumes, ses façons d’être. Et les affaires ont prospéré. Les Fassis ne sortent pas des rails, ne divaguent pas, ne laissent pas de place à la fantaisie ou au désordre. Lui était brun, grand de taille, les yeux tirant vers le gris, assez sportif. On disait de lui qu’il était « beau gosse ». Élégant, il soignait son apparence et s’habillait sans chercher à être à la mode. C’était un homme simple dont les principales qualités étaient la gentillesse et la courtoisie. Éduqué, il avait une passion pour la culture. En cela, il était différent de ses camarades d’études. L’habitude de la lecture lui avait été transmise par son père. Elle était petite de taille, assez menue, bien proportionnée, elle avait la peau très blanche comme la plupart des filles de Fès, un joli grain de beauté sur la joue gauche. Intelligente et volontaire, elle était ambitieuse et le disait. La couleur de ses yeux variait, ils étaient tantôt bleus, tantôt verts. Son corps était svelte. Elle aussi faisait du sport. Lire des romans n’était pas sa préoccupation principale ; elle préférait regarder des films ou des séries romantiques. Elle choisissait ses vêtements avec soin, se maquillait légèrement, se moquait des marques depuis qu’elle avait parcouru le livre de Naomi Klein No Logo. Elle disait : « Pas de tyrannie. » Ils s’étaient installés dans un appartement à mi-distance de la pharmacie et du cabinet. Ils avaient pour projet de se faire construire une villa dans les hauteurs d’Anfa, quartier résidentiel bourgeois. C’est une partie de Casa où on a préservé les espaces verts. Anfa est une colline dominant toute la ville et qui donne sur la mer ; les premières villas y ont été construites au début des années trente dans un style mêlant l’Art déco et l’art traditionnel de l’artisanat fassi. La vie leur souriait. Ils aimaient leur travail et ne crachaient pas sur l’argent. Les deux familles se fréquentaient et s’appréciaient. Les jeunes mariés, issus du même milieu, étaient satisfaits. L’appartement était tenu par deux femmes, des bonnes, des paysannes qui travaillaient sans compter. Deux enfants sont nés de ce mariage. Un garçon et une fille. Comme a dit la grand-mère : « Le choix du roi ! » Ils avaient des amis qui leur ressemblaient. Tous mariés, plus ou moins fortunés, un pied dans la tradition, l’autre dans la vie moderne. Des dîners arrosés, sauf à l’approche du mois de ramadan. Ils respectaient la religion, même s’il leur arrivait de manquer quelques prières, voire de ne pas prier durant plusieurs mois. Ils avaient appris à boire avec modération, contrairement à certains de leurs amis qui ne savaient pas s’arrêter. Mais dès le début du mois de chaabane précédant le ramadan, abstinence générale. Plus une goutte d’alcool. Ils avaient leurs habitudes, calquées sur celles de leurs parents. Des vacances en Espagne ; Marbella leur convenait parfaitement. De temps en temps, ils s’offraient une virée à Madrid ou à Barcelone pour visiter le musée du Prado ou le musée Picasso. Ils aimaient Marbella, ville très prisée par la bourgeoisie marocaine. Elle, plus que lui. Quand elle partait faire du shopping, il en profitait pour lire. Il adorait cela et ne pouvait s’endormir sans avoir lu quelques pages d’un roman ou d’un essai, classique ou contemporain. Il avait l’ambition d’amener sa femme à la lecture, c’était une façon de la différencier des Marocaines de Casablanca qui s’intéressaient davantage à la mode. Il faisait des concessions pour plaire à sa femme. Elle aussi consentait à quelque sacrifice en s’efforçant de lire des romans faciles. Elle reconnaissait, malgré son intelligence, ne pas arriver à se passionner pour un livre. C’était un manque. Mais elle ne parvenait pas à se concentrer suffisamment. Durant un voyage entre Casa et Fès où ils devaient assister au mariage d’une cousine, le mari lui offrit un livre audio : il l’avait téléchargé sur son téléphone et elle l’écouta pendant qu’il conduisait. C’était un roman de Naguib Mahfouz traduit de l’arabe. Elle apprécia ce conte des temps modernes. Au retour, il lui mit aux oreilles L’Amant de Marguerite Duras. Cette initiation lui plaisait. Il était attentif et elle lui était reconnaissante de combler ses lacunes. Ils s’aimaient. Au nom de cet amour, ils s’acceptaient et faisaient des projets d’avenir. Il fallut trois années pour construire la villa. Un parent leur avait dit : « Si vous voulez connaître un pays de l’intérieur, affronter à tout instant l’absurde et l’irrationnel,

More eBooks

Legacy of Light Cover Image
Legacy of Light

Author: Nita Round

Year: 2023

Views: 23031

Read More
Over the Limit Cover Image
Over the Limit

Author: Lisa Phillips

Year: 2023

Views: 32167

Read More
The Fallen Cover Image
The Fallen

Author: Sevyn Wynters

Year: 2023

Views: 40292

Read More
Caught in the Crosshairs Cover Image
Caught in the Crosshairs

Author: B.P Stevens

Year: 2023

Views: 41267

Read More
Daddy's Little Cupcake Cover Image
Daddy's Little Cupcake

Author: Everly Raine

Year: 2023

Views: 50810

Read More
Sharing Sherri Cover Image
Sharing Sherri

Author: Teagan Wells

Year: 2023

Views: 37163

Read More
The Smoke And Flowers Cover Image
The Smoke And Flowers

Author: R.A Bea

Year: 2023

Views: 49640

Read More
Broken Billionaire Boss Cover Image
Broken Billionaire Boss

Author: Laura Quinn

Year: 2023

Views: 32601

Read More
Lords of Uncreation Cover Image
Lords of Uncreation

Author: Adrian Tchaikovsky

Year: 2023

Views: 45217

Read More
Hotline Cover Image
Hotline

Author: Dimitri Nasrallah

Year: 2023

Views: 3387

Read More