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Les manquants

Author/Uploaded by Marie-Ève Lacasse

De la même autrice Autobiographie de l’étranger Paris, Flammarion, 2020 Peggy dans les phares Paris, Flammarion, 2017 Genèse de l’oubli Montréal, XYZ, 2006 Ainsi font-elles toutes Montréal, XYZ, 2005 Masques Hull, Vents d’Ouest, 1997 L’autrice a bénéficié d’une bourse de résidence du conseil régional d’Île-de-France pour l’écriture de cet ouvrage ainsi que d’une bourse de création du CNL. L’autr...

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De la même autrice Autobiographie de l’étranger Paris, Flammarion, 2020 Peggy dans les phares Paris, Flammarion, 2017 Genèse de l’oubli Montréal, XYZ, 2006 Ainsi font-elles toutes Montréal, XYZ, 2005 Masques Hull, Vents d’Ouest, 1997 L’autrice a bénéficié d’une bourse de résidence du conseil régional d’Île-de-France pour l’écriture de cet ouvrage ainsi que d’une bourse de création du CNL. L’autrice remercie la Fondation Michalski pour son accueil en résidence d’écriture au cours de l’été 2021. L’extrait d’Ivanov des pages 212-213 est tiré de l’édition d’Anton Tchekhov, Ivanov, Babel/Actes Sud, 2000, traduit par Françoise Morvan et André Markowicz. p. 242. Marie-Ève Lacasse est représentée par Julie Finidori Agency. ISBN 978-2-02-152677-6 © Éditions du Seuil, mars 2023 www.seuil.com Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Quel mal y a-t-il pourtant à ce que je m’éloigne de la logique ? Je travaille la matière première. Je suis derrière ce qui est derrière la pensée. Clarice Lispector,Água Viva À nos amies TABLE DES MATIÈRES TitreDe la même autriceCopyrightDédicaceClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireHélèneJoanClaireNote de l'autrice Claire Je parle trop vite ? D’accord. Oui, vous devez taper. Je vais parler plus lentement. Non mais vous comprenez c’est que je suis nerveuse c’est tout. C’est pas comme si, comme si j’avais l’habitude de me raconter. À des inconnus. Tous les jours. Ici en plus. J’aimerais bien un verre d’eau s’il vous plaît. C’est possible ? De demander ça ? Un verre d’eau. Oui. C’est qu’il fait très très chaud chez vous. Vous ne souffrez pas de la chaleur ? Merci. Ah oui elle est fraîche elle est bien fraîche. D’accord. On y va. On a combien de temps ? Tout le temps ? Par où commencer. Déjà, quand ces choses-là arrivent, on ne sait pas qu’elles sont en train de se produire. On ignore que c’est le dernier jour. Ce n’est pas net. On ne se dit pas : c’est maintenant. Ce n’est pas évident. C’est long avant de se dire : c’est vrai. Ce que je pensais correspond bien à ce qui est en train de se produire. On ne sait jamais avec certitude quand les gens partent pour toujours. Ils ne le formulent pas explicitement, ils ne vous arrangent pas les choses. Ils vous disent juste : à tout à l’heure ! Ou : à plus, je vais acheter le pain. Ou bien : je vais sortir le chien. Et puis ils ajoutent : au revoir. Là, c’est différent. Parce que pour eux, ce petit bout de phrase, c’est décisif, c’est toute leur vie. Tout se joue là, dans ces deux mots. Au. Revoir. Eux savent que c’est le dernier jour, et nous pas. Pourtant, ça arrive, qu’on se demande, au plus caché de soi, quand la personne ferme la porte, quand elle prend sa voiture, quand elle monte sur son vélo : et si elle ne revenait jamais ? Et si elle avait un accident ? Et si elle décidait de juste poursuivre sa route pour toujours ? De ne jamais reprendre le chemin inverse ? Vers moi, vers nous ? Cette pensée me traversait souvent. Même à vous, je suis sûre, ça arrive. Quand votre femme part faire le marché. Au début, vous vous dites : « enfin seul », et puis ensuite, au bout d’une heure ou deux, vous vous demandez pourquoi c’est si long. Que fait l’autre ? Qui voit l’autre ? Qui es-tu, enfin ? Et quand on prend soi-même la route, on se dit, parfois : et si j’allais à l’aéroport prendre un aller simple pour n’importe où ? Moi aussi, je changerais bien de vie. Il y a toujours cette possibilité, et puis non. On reste. La seule idée de cette liberté nous suffit. Parfois aussi, je dois être honnête, du fond du sommeil ou de l’ivresse, dans cet instant de lucidité où la vérité s’impose, il m’est arrivé d’espérer que Thomas parte. C’est une petite porte, cette pensée. Un moment interdit. Sauf que ce jour-là Thomas l’a prise, il a ouvert la petite porte interdite et il est parti. Soudain ce qui n’était qu’une possibilité, une inquiétude sourde, est devenu réel. L’autre s’évade, et c’est ça, la folie, qui devient réel. Moins vite ? D’accord. Thomas, donc. Après vingt ans de mariage, j’ai eu plus d’une fois l’occasion de me dire ce genre de chose. Comme tout le monde. Sauf que c’est juste la possibilité mentale qui soulage, vous comprenez. Le fait que ce soit envisageable. Pas la réalité. On se ravise quand ça arrive pour de vrai. Je n’ai jamais vraiment voulu que Thomas disparaisse, évidemment, vous imaginez le choc. Je n’imaginais pas ma vie sans sa présence, si quotidienne, depuis toujours. Ce membre qui fait partie de moi, d’ailleurs on dit bien un « membre de la famille », cette expression bizarre. Est-ce que j’avais envie de vivre avec un bras en moins ? Est-ce que je ne choisirais pas de mourir plutôt que de devoir tout réapprendre, à vivre, à penser, à me penser ? Comment ? Non. Pourquoi on aurait refusé de venir ? Vous nous convoquez, donc on vient. Je pensais à la déposition depuis un moment, et puis, je me disais, ça ne peut pas rester comme ça trop longtemps. Je savais qu’un jour vous m’auriez appelée, et puis c’est arrivé. Je m’y attendais. J’ai passé deux ans à l’attendre. Honnêtement, je pensais être convoquée avant, mais là c’est arrivé au bon moment en plus, parce qu’il faut vraiment qu’on aille de l’avant, avec le divorce, et les dettes, et tout ça. C’est fréquent, il paraît. Beaucoup de gens disparaissent, ils ne reviennent pas, on ne les retrouve pas. Et ils ont le droit, je veux dire, c’est prévu par la loi. Ils ont le droit de disparaître. Ça c’est quand on y réfléchit de manière lucide et calme, comme maintenant, enfin à peu près. Ce n’est pas non plus la panacée d’être ici, croyez-moi, ça me remue, et puis je n’aime pas me répandre. En tout cas, quand j’ai compris que Thomas ne

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