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Maman, la nuit

Author/Uploaded by Sara Bourre

Sara Bourre Maman, la nuit « Maman a disparu. C’est pas simple. Il a fallu le redire plusieurs fois, décomposer la phrase, la prendre et la secouer. Maman a disparu. Quelle folie de phrase. Si je la chuchote, les larmes me montent et me brûlent, si je la prononce avec une voix de fer, comme un vieux robot fatigué, ma-man-a-dis-pa-ru ma-man-a-dis-pa-ru, ça me fout la chair de poule et l’impression...

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Sara Bourre Maman, la nuit « Maman a disparu. C’est pas simple. Il a fallu le redire plusieurs fois, décomposer la phrase, la prendre et la secouer. Maman a disparu. Quelle folie de phrase. Si je la chuchote, les larmes me montent et me brûlent, si je la prononce avec une voix de fer, comme un vieux robot fatigué, ma-man-a-dis-pa-ru ma-man-a-dis-pa-ru, ça me fout la chair de poule et l’impression d’une catastrophe planétaire imminente. Si je la crie, si je la jette loin sur les routes, en plein cœur de ces villes qui scintillent et grincent sous ma peau, si je la crie si fort que ma voix casse, alors je crois que ce n’est plus vraiment triste. Pas aussi triste que ça. Je dirais plutôt affolant. Sidérant. Ou encore stupéfiant. Voilà. C’est affolant sidérant stupéfiant et ça me rend le cœur dingue, et étrangement vivant aussi. » L’enfant écoute tout, observe tout, et avant toute chose sa mère, une fascination qui oscille entre haine et passion, dont on sent le danger, la menace, la violence des sentiments. C’est une enfant sage, étrange. Elle a grandi robuste, comme une mauvaise herbe. Elle sent, perçoit, palpe, traque, à l’affût, toujours tapie. Un jour, sa mère disparaît. Alors, que va-t-elle devenir ? Sara Bourre est née à Paris en 1988. Elle a étudié les lettres modernes et la philosophie à la Sorbonne, et s’est formée en parallèle au théâtre et à la danse-théâtre. Elle se produit régulièrement sur scène avec des musiciens, dans des projets où se croisent texte, matière sonore et visuelle. Maman, la nuit est son premier roman, écrit dans le cadre du master en création littéraire de Paris-VIII. Les publications numériques de la collection Notabilia des éditions Noir sur Blanc sont pourvues d’un dispositif de protection par filigrane. Ce procédé permet une lecture sur les différents supports disponibles et ne limite pas son utilisation, qui demeure strictement réservée à un usage privé. Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur, nous vous prions par conséquent de ne pas la diffuser, notamment à travers le web ou les réseaux d’échange et de partage de fichiers. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivant du Code de la propriété intellectuelle. ISBN : 978-2-88250-828-7 Maman a disparu. C’est pas simple. Il a fallu le redire plusieurs fois, décomposer la phrase, la prendre et la secouer. Maman a disparu. Quelle folie de phrase. Si je la chuchote, les larmes me montent et me brûlent, si je la prononce avec une voix de fer, comme un vieux robot fatigué, ma-man-a-dis-pa-ru ma-man-a-dis-pa-ru, ça me fout la chair de poule et l’impression d’une catastrophe planétaire imminente. Si je la crie, si je la jette loin sur les routes, en plein cœur de ces villes qui scintillent et grincent sous ma peau, si je la crie si fort que ma voix casse, alors je crois que ce n’est plus vraiment triste. Pas aussi triste que ça. Je dirais plutôt affolant. Sidérant. Ou encore stupéfiant. Voilà. C’est affolant sidérant stupéfiant et ça me rend le cœur dingue, et étrangement vivant aussi. D’autres voix que la mienne. D’autres phrases. Que vas-tu faire maintenant ? Où est-elle ? Tu sais quelque chose ? Est-ce que tu sais quelque chose ? Qu’est-ce que tu sais ? Où étais-tu ? Tu n’as rien vu ? Des voix. Tantôt en colère, tantôt réconfortantes. On hésite. On bute sur les mots comme sur des racines. On se relève et on recommence. Les mêmes questions, les mêmes regards un peu flous, un peu méfiants. Où étais-tu ? Que faisais-tu ? Et pourquoi ? Et pour qui ? Les phrases circulent d’une maison à l’autre, traversent les plaines à la vitesse d’un fauve, ricochent sur le lac, survolent les forêts, arrivent, brutales, cognent aux portes et aux vitres, ne laissent aucun répit. Personne n’en veut. Personne ne répond. Personne ne sait. Voilà. Quelque chose a changé. Mon cœur bat plus vite qu’avant et la nuit une étrange sueur me colle au matelas. Maman a disparu Où est-elle ? Je monte et descends les escaliers de la maison sur la pointe des pieds. J’ai peur du bruit. Et je n’ose pas retourner sur les bords du lac. Je fais des rêves. Comment dire. Des rêves plus réels que mon corps ici, ma parole là, des rêves de chair et d’os. C’est ça. Croyez-le ou non. Des rêves plus longs, plus denses, plus tangibles que ma propre vie. Quand je ne rêve pas, j’ai le sommeil noir et lourd. Impénétrable. Nous habitons au large de ces grandes routes grises sur lesquelles jour et nuit crachent des machines de fer, engins à chair de poule et idées noires. Ces grosses bêtes anonymes me feraient valdinguer de l’autre côté du monde. Petite, j’aimais marcher dans les champs qui bordent les voies rapides. Plus je m’approchais des bruits de moteur, plus j’avais la sensation de pouvoir disparaître, le frisson d’une désintégration imminente. Plus de jambes, plus de bras, rien que du vent au-dedans, des courants d’air et de peur. Rien que du vide, et cette sensation de tomber de très haut à l’intérieur de mon propre corps. Je devais m’accroupir, toucher la terre avec mes mains, enfoncer mes genoux dans les cailloux et les herbes hautes. Je luttais fort contre le bruit et la vitesse qui auraient pu m’avaler entière. Je tenais bon, et la joie et la peur vivaient, serrées, dans chacune de mes respirations. Un jour – ce devait être un matin d’été, car Maman avait les épaules nues et des gouttes de sueur au coin des yeux –, j’ai entendu quelqu’un dire une chose qui depuis me guette, me frôle, m’agrippe, me rentre dedans sans crier gare. C’était une voix trouble et un peu éraillée provenant du poste de radio posé sur la table de la salle à manger. Un accident, à quelques kilomètres d’ici. Longtemps

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