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Parcourir la terre disparue

Author/Uploaded by Erin Swan

FICTION Titre original : WALK THE VANISHED EARTH Copyright © 2022 by Erin Swan All rights reserved Original publishers : Viking, New York © Éditions Gallmeister, 2023, pour la traduction française E-ISBN 978-2-404-01989-5 ISSN 1956-0982 Photo de l’auteur © Sylvie Rosokoff Illustration de couverture © Aurélie Bert Conception graphique : Aurélie Bert Ce livre est dédié à Pete. Tant pis pour nous....

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FICTION Titre original : WALK THE VANISHED EARTH Copyright © 2022 by Erin Swan All rights reserved Original publishers : Viking, New York © Éditions Gallmeister, 2023, pour la traduction française E-ISBN 978-2-404-01989-5 ISSN 1956-0982 Photo de l’auteur © Sylvie Rosokoff Illustration de couverture © Aurélie Bert Conception graphique : Aurélie Bert Ce livre est dédié à Pete. Tant pis pour nous. Tant pis pour les drapeaux que nous plantions Dans des planètes sèches comme de la craie, tant pis pour les boîtes de conserve que nous remplissions de feu Pour les chevaucher tels des cow-boys et tout domestiquer. Écoutez : L’obscurité que nous n’osions imaginer est audible à présent, bourdonnante, Marbrée de friture, pareille à une viande avariée. Un chœur de moteurs vrombit. Le silence nous nargue : un défi. Tout ce qui disparaît Disparaît comme s’il retournait quelque part. TRACEY K. SMITH, The Universe : Original Motion Picture Soundtrack Le beau temps ne dure jamais sur cette terre. LAURA INGALLS WILDER, La Petite Maison dans la prairie SAMSON GRANDES PLAINES DU KANSAS, 1873 LE vent dans l’herbe ondulée. Le soleil chaud sur son chapeau. Le vague désagrément des mouches. Il contemple la plaine bosselée par les créatures laineuses. Il en a abattu douze aujourd’hui : deux mâles, neuf femelles, un bisonneau. Pas sa meilleure prise, mais un butin respectable. Burroughs et Masters sont déjà au travail, à scier les langues, à dépecer les carcasses. Bientôt, il se joindra à eux. L’après-midi empeste la bouse, le sang et sa propre sueur. Il s’essuie le visage et se demande quand sa barbe va pousser. Il aimerait se raser avec les autres, s’agenouiller devant le miroir ébréché à l’aube, embuer le verre de son haleine. Il contemple les derniers instants de la femelle à ses pieds. Ni Burroughs ni Masters ne croient à la conscience des animaux, alors que lui se figure leur esprit comme des petits feux de camp sous leur crâne épais. Les flammes brillent et crépitent, projettent des étincelles. Quand il galope à leurs côtés, il voit leurs yeux s’emplir d’un chagrin familier. Lorsqu’il tire, la lumière dans leurs iris s’estompe, des braises mourantes au petit jour. Un meuglement attire son attention. Le bisonneau s’est redressé. Il titube parmi les cadavres sur ses pattes flageolantes. Samson l’a atteint à l’épaule, ratant son cœur. Il ne braque pas son fusil. Ce n’est plus le moment pour ce genre de bruit. Il avance et sort son couteau, une nuée de mouches sur le visage. Le bisonneau s’immobilise. Lui renvoie un regard humain. Samson s’agenouille avant de lui passer un bras autour du cou et de relever son museau. L’odeur âcre lui rappelle son enfance à Liverpool : ses frères et ses sœurs entassés les uns sur les autres, les flammes qui s’éteignaient dans le poêle faute de charbon. Il tranche la gorge de l’animal, imaginant l’enfant que le cuir contribuera à réchauffer. Le bisonneau s’effondre et roule sur le flanc. Un souffle ultime s’échappe de ses naseaux. La lueur dans ses yeux vacille. Samson se lève. Masters et Burroughs n’ont pas traîné. Seules quatre carcasses subsistent. Il s’en charge et taillade le poil épais, détachant la peau des os. Il jette tout sauf les langues et certains quartiers de viande. Le chariot ne pouvant transporter qu’un poids limité, il doit se contenter des morceaux qui lui rapporteront le plus. La puanteur des entrailles le submerge et il remonte son bandana sur son nez. En ville, il achètera une chemise et une salopette. Peut-être une paire de bottes. Les siennes sont imbibées de sang, leurs semelles craquelées par le printemps interminable. La plaine a mis du temps à dégeler, la neige fondue à s’évaporer. Difficile de se rappeler l’hiver glacial en cette journée d’août. Ses habits sont raidis par la sueur. S’il parvient à vendre les peaux, la viande et les langues, en plus de s’acheter de nouveaux vêtements, il pourra se rendre dans la salle de bal à Dodge City. Elle sera peut-être là. Celle qui s’appelle Daisy, aux cheveux aussi roux que les siens. La naissance de son cou est la seule source de douceur en ville. Daisy ne s’est jamais moquée de son oreille. Une masse informe collée à son crâne. Elle avait fondu comme du suif avant de cicatriser. La peau qui l’entoure est luisante, avec une plaque chauve à l’endroit où ses cheveux ne repoussent plus. S’il le souhaite, il peut convoquer son odeur alors qu’elle grésillait sur le poêle. La pression de la main de son père sur sa tête. Si ce dernier avait été saoul, Samson aurait compris, mais le jour se levait et ses yeux étaient rougis par l’insomnie, non par le whiskey. Il avait introduit le reste du charbon dans le poêle et attendu que les parois se réchauffent. Les yeux mi-clos, Samson feignait de dormir, mais son père ne s’était pas laissé berner. Vif comme l’éclair, il l’avait attrapé et il avait appuyé sa tête contre la fonte. Demain, avait-il déclaré, tu iras travailler. Pendant deux ans, Samson avait besogné sur les quais. Les immenses navires qui glissaient dans la mer réveillaient en lui une soif qu’aucune eau ne pouvait étancher. Il imaginait la terre que les embarcations allaient accoster, celle qui hantait ses rêves : une vaste plaine aride où marchait un homme. Je serai cet homme, avait-il juré. À l’âge de quinze ans, il vendit trente-cinq livres le seul trésor de son père, une montre à gousset en or prélevée par ce dernier sur le cadavre de son grand-père, à Kerry, et embarqua sur un bateau à vapeur à destination de l’Ouest. À Castle Garden, New York, il renia son patronyme d’une simple omission de son stylo et inscrivit uniquement son prénom au registre. Une manière d’honorer la mémoire de sa mère. Selon elle, Samson était synonyme de pouvoir, d’autant plus qu’il avait les cheveux longs. Néanmoins, il les coupa au bout d’une semaine. Dans ce nouveau monde, pensa-t-il, je serai un nouvel homme. Grâce à la chasse de

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