Pour qu'il neige Cover Image


Pour qu'il neige

Author/Uploaded by Jessica Au

Pour Oliver Il pleuvait quand nous avons quitté l’hôtel, une pluie fine, légère, comme il en tombe parfois à Tokyo en octobre. J’ai annoncé que l’endroit où nous allions n’était pas très loin – il nous faudrait juste nous rendre à pied à la gare, celle par laquelle nous étions arrivées la veille, puis prendre deux trains et emprunter quelques petites rues jusqu’au musée. J’ai sorti mon parapluie...

Views 17874
Downloads 2224
File size 146 KB

Content Preview

Pour Oliver Il pleuvait quand nous avons quitté l’hôtel, une pluie fine, légère, comme il en tombe parfois à Tokyo en octobre. J’ai annoncé que l’endroit où nous allions n’était pas très loin – il nous faudrait juste nous rendre à pied à la gare, celle par laquelle nous étions arrivées la veille, puis prendre deux trains et emprunter quelques petites rues jusqu’au musée. J’ai sorti mon parapluie et l’ai ouvert, puis j’ai remonté la fermeture Éclair de mon manteau. Il était encore tôt et les gens se pressaient dans la rue, la plupart s’éloignant de la gare plutôt que marchant dans sa direction, comme c’était notre cas. Tout ce temps, ma mère est restée près de moi, comme si elle voyait dans cette foule un puissant courant et craignait que, si nous étions séparées, nous ne pourrions plus nous retrouver et continuerions de dériver, toujours plus loin l’une de l’autre. La pluie était douce et régulière. Elle laissait une fine couche d’eau sur le sol, qui n’était pas goudronné mais composé de petits carreaux, si l’on y prêtait attention. Nous étions arrivées la veille au soir. Mon avion avait atterri une heure avant celui de ma mère et je l’avais attendue à l’aéroport. J’étais trop fatiguée pour lire mais j’avais récupéré mes bagages et acheté deux billets pour l’un des trains express, ainsi qu’une bouteille d’eau, puis j’avais retiré un peu d’argent au distributeur. Je m’étais demandé si je devais faire d’autres emplettes – du thé, peut-être, ou quelque chose à manger, mais j’ignorais comment ma mère se sentirait à son arrivée. Quand elle a franchi le portique, je l’ai reconnue immédiatement, même de loin, à sa façon de se tenir ou de marcher, sans vraiment distinguer clairement son visage. De plus près, j’ai remarqué qu’elle continuait de s’habiller soigneusement : un chemisier marron avec des boutons de nacre, un pantalon repassé et quelques bijoux en jade. Il en avait toujours été ainsi. Elle ne s’achetait rien de coûteux mais faisait attention à la coupe, à la subtile harmonie des textures. Elle ressemblait à une femme bien habillée dans un film tourné il y a vingt ou trente ans, à la fois datée et élégante. J’ai vu également qu’elle avait une grosse valise avec elle, la même que dans mon enfance. Elle l’avait rangée tout en haut de l’armoire dans sa chambre, d’où la valise nous avait dominées, peu utilisée, descendue seulement lors des rares fois où ma mère était retournée à Hong Kong, d’abord à la mort de son père, puis à celle de son frère. La valise était à peine abîmée, et même aujourd’hui elle paraissait presque neuve. Plus tôt cette année-là, j’avais demandé à ma mère de m’accompagner au Japon. Nous n’habitions plus la même ville, et n’avions guère voyagé ensemble depuis que nous étions adultes, mais je commençais à sentir que la chose était importante, et ce pour des raisons que je ne pouvais alors préciser. Au début, elle avait résisté, mais j’avais insisté et finalement elle avait accepté, mais sans le formuler vraiment, en protestant de moins en moins, hésitant au téléphone quand je la relançais, puis j’avais compris à son attitude qu’elle me faisait enfin savoir qu’elle viendrait. J’avais choisi le Japon parce que je m’y étais déjà rendue, et bien que ce ne fût pas le cas de ma mère, je m’étais dit qu’elle serait plus à même d’explorer une autre région d’Asie. Et peut-être avais-je senti que nous retrouver toutes deux dans un pays étranger nous mettrait pour ainsi dire sur un pied d’égalité. J’avais choisi l’automne, car cela avait toujours été notre saison préférée. Les jardins et les parcs seraient alors resplendissants ; la fin de saison, un grand dépouillement. Je n’avais pas prévu qu’il pourrait y avoir encore des typhons. La météo avait déjà diffusé plusieurs alertes, et il avait plu régulièrement depuis notre arrivée. À la gare, j’ai donné à ma mère son passe de métro et nous avons franchi le tourniquet. Une fois à l’intérieur, j’ai cherché le quai où nous devions aller, en essayant d’associer le nom et les couleurs à ce que j’avais noté sur le plan la veille au soir. J’ai fini par repérer le bon train. Sur le quai, le sol était balisé afin qu’on sache où attendre avant d’embarquer. Nous avons respecté docilement le marquage et le train est arrivé quelques minutes plus tard. Il y avait une place libre près de la porte, j’ai fait signe à ma mère de s’y installer pendant que je restais debout près d’elle et regardais défiler les gares. La ville était grise et tout en béton, morne sous la pluie, presque familière. Je reconnaissais les formes – des bâtiments, des passerelles, des passages à niveau – mais dans le détail, les matériaux, ils étaient tous légèrement différents, et c’étaient ces variations infimes mais révélatrices qui continuaient de m’absorber. Au bout d’une vingtaine de minutes, nous avons pris une ligne secondaire et un train moins bondé, et cette fois-ci j’ai pu m’asseoir à côté d’elle et regarder les immeubles devenir de moins en moins hauts, jusqu’à ce que nous arrivions dans les banlieues, qu’apparaissent des maisons aux murs blancs et aux toits plats avec des petites berlines garées dans les allées. Je me suis fait la réflexion que, lors de mon dernier séjour ici, j’étais avec Laurie, et avais pensé de temps à temps à ma mère. Maintenant, j’étais ici avec elle, et je pensais de temps en temps à lui, aux heures passées à sillonner en tous sens la ville du matin jusque bien après le coucher du soleil, à tout voir, tout découvrir. Au cours de ce voyage, c’était comme si nous étions de nouveau des enfants, agités et explosifs, passant notre temps à parler, à rire, jamais rassasiés. J’avais eu alors envie de partager certains de ces moments avec ma mère, ne serait-ce qu’une petite partie. C’est à la suite de ce voyage que j’ai commencé à apprendre le japonais, comme si je

More eBooks

The Fires of Hell Cover Image
The Fires of Hell

Author: William W. Johnstone; J.A. Johnstone

Year: 2023

Views: 59603

Read More
Devious Vows Cover Image
Devious Vows

Author: AJ Wolf

Year: 2023

Views: 16738

Read More
Real Regrets Cover Image
Real Regrets

Author: C.W. Farnsworth

Year: 2023

Views: 47130

Read More
Sutton's Secrets Cover Image
Sutton's Secrets

Author: Scarlett Scott

Year: 2023

Views: 40265

Read More
Of Course It's You Cover Image
Of Course It's You

Author: Ali Parker

Year: 2023

Views: 30312

Read More
Chasing Fear Cover Image
Chasing Fear

Author: Brandt Legg

Year: 2023

Views: 6003

Read More
Dangerous Dreams Cover Image
Dangerous Dreams

Author: Abbie Roads

Year: 2023

Views: 17261

Read More
Possession Cover Image
Possession

Author: Brynne Asher

Year: 2023

Views: 47485

Read More
Right Behind You Cover Image
Right Behind You

Author: Chuck Lemoine

Year: 2023

Views: 26101

Read More
The Officer's Wife Cover Image
The Officer's Wife

Author: Catherine Law

Year: 2023

Views: 14246

Read More