La Lionne

François Dupaquier La Lionne Flammarion © Flammarion, 2023 ISBN Numérique : 9782080424020 ISBN Web : 9782080424044 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 9782080423948 Ouvrage composé et converti par Pixellence (59100 Roubaix) Présentation de l’éditeur Tara Vaillant, jeune policière au caractère bien trempé, est respectée et adorée dans le commissariat de Bobigny où elle dirige une brigade. Dévastée par la mort récente de sa mère, qui semble avoir emporté avec elle un insondable silence, elle peine à étancher son chagrin entre drogue, alcool et hommes d’un soir. Deux meurtres de repentis de l’État islamique à Paris, sous forme d’exécutions publiques, vont entraîner Tara sur une piste extrêmement dangereuse et la ramener à son passé. Le massacre des Yézidis, la DGSI et les réseaux terroristes de Daesh se mêlent étrangement à sa quête personnelle, la conduisant jusqu’à sa terre de naissance, l’Irak, qu’elle n’a jamais foulée. La vieille Ajda, le jeune Medhi, le séduisant Baz ou encore le collègue et ami Jeannot se croisent et se révèlent au fil des pages dans ce qu’ils ont de plus fragile, de plus courageux et parfois de plus sombre. François Dupaquier nous livre un roman haletant porté par une narration vive, où l’humanité montre tous ses visages, de la pire barbarie jusqu’à l’infinie tendresse. François Dupaquier est juriste international, spécialiste de la réponse humanitaire en zones de guerre, notamment dans les conflits en Syrie et en Irak. Il s’est engagé plusieurs années au Moyen-Orient à la suite de l’établissement du califat de l’État islamique et de la reprise de Mossoul par la coalition internationale. Il partage aujourd’hui son expérience et son engagement entre humanitaire, écriture et projets audiovisuels. Du même auteur Juste parmi les hommes, Fayard, 2019 ; Le Livre de poche, 2021. La Lionne Pour Sophie,et aux femmes qui se battent. Tout ce que les femmes nous ont donné, elles sont en droit un jour de le reprendre. Les personnages de ce livre sont imaginaires, de même que leurs vicissitudes personnelles. Tout lien avec des personnes ou des faits réels suggérés par sa lecture ne peut être que le fruit du hasard. Les éléments historiques et les faits divers cités, ainsi que les noms de personnes, de marques ou d’entreprises, ont pour seul but de donner de la vraisemblance au récit, sans aucune volonté de dénigrement ni préjudice pour leur détenteur. I Irak, 1988 Ce matin-là, le sol était encore dur du froid glacé de la nuit et aucune poussière ne venait troubler la limpidité de l’air. Sur les collines qui entouraient la ville, une herbe rase, piquée de brun, tentait d’atteindre les sommets terreux tout proches. Au loin s’élevaient les hautes montagnes du Kurdistan dont la blancheur éclaboussait l’azur en traçant une ligne d’horizon précise comme un collage. Le ciel était d’un bleu sans nuance. Sa pureté ne semblait entachée d’aucun soleil. Discrète, l’étoile se faisait sentir quand elle frappait un côté du visage. La chaleur réconfortante de ses rayons sur la peau promettait l’arrivée du printemps alors que l’autre joue restait dans l’ombre de l’hiver. Cette tiédeur permettait aux miliciens que croisait Sîbel d’ouvrir les premiers boutons de leurs amples chemises couvertes d’un gilet de laine pressée. La toute jeune femme baissa la tête vers le nourrisson qu’elle portait, collé à sa poitrine. Elle observa son petit nez qui sortait de la cagoule colorée. Dans l’habitacle, le soleil qui suivait la course de la voiture étira un rectangle lumineux jusqu’à l’enfant. Sîbel défit légèrement la couverture fleurie qui emmaillotait le nouveau-né. Il avait les yeux mi-clos, la bouche entrouverte et une respiration rapide d’enfant plongé dans un sommeil profond. Elle lui caressa la joue du bout des doigts et leva les yeux vers le pare-brise. Le vieux pick-up cabossé sortait de la ville par une petite route en terre creusée d’ornières. Tout autour s’étendaient déjà les vergers de grenadiers qui avaient perdu leur feuillage. — Merci encore de m’emmener, Bâbir, dit-elle en se tournant vers le vieux conducteur. Sîbel était partie précipitamment de chez elle, son bébé dans les bras. Par chance, elle avait aperçu au bout de sa rue le paysan conduisant sa voiture sans âge. Il roulait si lentement qu’elle avait pu trottiner à son niveau pour lui faire signe de s’arrêter. Sa moustache blanche, aux extrémités jaunies par le tabac, semblait posée sur le volant tant Bâbir était courbé en avant. Les mains épaisses du vieillard se baladaient de droite à gauche pour accompagner le jeu dans la direction. Il avait fallu près de vingt mètres pour que l’attention de ses yeux bleus et luisants quitte la route et se porte sur la jeune femme qui tapait au carreau. Une fois arrêté, le vieil homme dut ouvrir la portière pour l’entendre, car sa vitre ne descendait plus. Le grincement fut si fort que Sîbel crut voir la porte se détacher de ses gonds. Bâbir accepta bien évidemment de faire un détour pour la déposer. Elle grimpa à ses côtés et s’enfonça dans le siège rembourré de coussins. La voiture sentait le tabac froid, la sueur et la poussière. — Tu ne te sépareras jamais de ta voiture, n’est-ce pas ? — C’est la première que je me suis achetée, lui répondit Bâbir sans quitter la route des yeux. Je n’en ai jamais changé et ça ne risque pas d’arriver. J’ai toujours tout réparé moi-même et elle marche encore. Elle est vieille comme moi. Elle grince et n’est plus aussi rapide qu’avant, comme moi. Mais elle marche. Alors oui, on mourra ensemble, comme un vieux couple. — Tu devrais partir. Il ne faut pas rester là. — Je suis trop vieux pour ça aussi, Sîbel. La jeune femme était nerveuse, mais le sourire heureux du vieux paysan la détendit un instant. Elle le regarda avec affection, sachant qu’il ne servirait à rien d’insister. Les ressorts grinçants des sièges remplaçaient les suspensions disparues du pick-up. Ils projetaient les passagers contre le toit à chaque bosse. Le keffieh de Bâbir s’aplatissait à mesure que son crâne rebondissait