Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé

Les chapitres « Le refuge » et « Un chaos structuré » sont tirés des ouvrages collectifs Trois jours et trois nuits et Les Écrivains français sous les drapeaux, publiés par les Éditions Fayard en 2021 et 2022. © Frédéric Beigbeder et Éditions Albin Michel, 2023 ISBN : 9782226484017 À Dieu, pour qu’Il n’hésite pas à me recontacter sur LinkedIn. « La femme est l’avenir de l’homme. » Louis Aragon « On doit vendre son cœur. » F. Scott Fitzgerald 1 Moi aussi, je suis une victime – Papa, pourquoi ils ont fait ça ? Nous sommes un matin de 2018 et je ne sais que répondre à Oona, ma fille de trois ans. – C’est compliqué, chérie. – C’est qui qui a fait ça ? C’est des méchants ? – Mais non, ne t’inquiète pas, c’est juste une blague. Ma maison et ma voiture sont couvertes d’insultes roses. Le mur blanc de mon domicile basque est tagué de graffitis me traitant de violeur et de salaud. Les vandales nocturnes ont dû déplacer la poussette du bébé et enjamber une bouée en forme de dauphin bleu pour barbouiller de peinture acrylique notre maison pleine d’enfants endormis. De longues traînées de détestation forment une œuvre d’action painting à la Pollock sur ma terrasse, d’habitude paisible. Certes, j’ai signé la pétition des « 343 salauds » contre la pénalisation des clients de prostituées, mais il est toujours préférable de s’injurier soi-même, comme Cyrano de Bergerac. Bizarrement, quand c’est un groupe d’inconnus qui enjambent votre portail la nuit, traversent votre pelouse, bombent « ICI VIT UN VIOLEUR » sur votre façade et balancent un pot de peinture indélébile sur votre bagnole électrique, vous le prenez moins bien. – Mais pourquoi ils ont fait ça, papa ? J’ai écrit ce livre pour répondre à la question de ma fille qui, Dieu merci, ne savait pas encore lire. Ce matin de 2018, j’ai compris que les bad buzz et les shit storms pouvaient sortir de Twitter pour entrer dans la vraie vie, non virtuelle, celle où les enfants découvrent des coulées de haine peinturlurées sur leur maison et pleurent de peur. Je suis allé porter plainte au commissariat de Saint-Jean-de-Luz. Les gens qui ont répandu des insultes sur mon domicile n’ont jamais été retrouvés. Je préviens les prochains. Souriez quand vous reviendrez, car j’ai installé des caméras et une alarme reliées à un système de sécurité privée. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, n’ayant pas de temps à perdre, pourtant j’y suis souvent accusé de tous les maux parce que j’abuse d’une certaine liberté de ton dans la presse papier. En l’occurrence, j’ai estimé en 2016 qu’il était absurde de condamner les clients de prostituées à une amende de 1 500 euros : ils dépensent déjà bêtement leur argent. J’avais peut-être tort, quelle importance ? Je croyais qu’en démocratie on avait le droit de discuter des propositions de lois avant qu’elles ne soient votées par le Parlement. Veuillez pardonner ce court accès de naïveté. L’inconvénient de ne pas être sur les réseaux sociaux, c’est que les haters ne peuvent pas m’engueuler autrement qu’en venant écrire sur ma maison… Je pense que si mon domicile a été agressé par des terroristes d’enfants pendant la nuit, c’est pour de multiples raisons, dont la suivante. Mon travail est d’écrire et de lire. Or j’aime les livres qui racontent des horreurs. Je défends la liberté d’expression, même pour les auteurs qui ont une mauvaise vie. Je ne fais rien d’horrible mais il m’arrive de lire des choses horribles, parfois narrées elles-mêmes par des personnes horribles. Moraliser le monde est souhaitable, aseptiser la littérature ne l’est pas. Là encore, je peux me tromper, mais ce n’est pas une raison pour repeindre ma baraque. Si vous estimez que la littérature ne doit être écrite que par des saints, et qu’aucun roman ne doit décrire des actes illicites, je vous propose d’en discuter calmement sans déverser du purin sur mon paillasson, ni me poignarder les yeux comme c’est arrivé à Salman Rushdie en 2022. Inutile de me dénoncer anonymement sur votre compte digital, venez me voir « en vrai » et on en causera autour d’un Porn Star (vodka, vanille, fruit de la passion). Sujet du bac : « La littérature doit-elle montrer le mal ou prôner le bien ? » Mon sentiment est ambigu. Je crains que les romans uniquement bienveillants ne soient d’une lecture très fastidieuse. La littérature optimiste a été encouragée en URSS durant tout le XXe siècle : le « réalisme socialiste » n’a pas donné de fabuleux résultats en termes de suspense (on sait que c’est l’ouvrier qui gagnera à la fin). A contrario, je ne pense pas que l’art soit nécessairement meilleur s’il ne montre que le mal. Ce serait trop simple. S’il suffisait de s’intéresser aux charognes pour être Baudelaire… non plus. Il faut donc que l’art puisse tout dépeindre, les miracles comme les monstruosités, la sainteté comme les péchés. Comme dit Colette : « Avec douceur, je me retourne donc vers les monstres qui m’ont, un long bout de chemin, accompagnée… » Nos vies sont un alliage de grandeur et de décadence. Si les livres ne peuvent plus raconter les crimes et délits, comment allons-nous sonder l’âme de l’homme ? Est-il raisonnable de penser qu’un art moral peut améliorer les humains ? Pol Pot a sincèrement essayé de « rendre les hommes plus purs » en exterminant les porteurs de lunettes. 1,7 million de morts plus tard, la poésie khmère n’a pas énormément progressé… et il y a toujours des Cambodgiens myopes. La purification des œuvres ne nous empêchera jamais d’être humainement faillibles. Je fais partie des blasés à qui les feel-good books foutent le cafard, et qui ne se sentent grandis qu’en découvrant une pépite d’humanité au fond d’un gouffre de fange. Le message de toute mon œuvre peut être condensé en cet appel solennel : Ô FRÈRES HUMAINS, RÉSISTONS DEVANT L’ADVERSITÉ DE LA GUIMAUVE. J’ai frotté, frotté et frotté les