La femme en feu

Ce roman a été publié sous le titre Woman on Fire par Harper Paperbacks, New York, 2022. Si vous souhaitez prendre connaissance de notre catalogue : www.editionsarchipel.com Pour être tenu au courant de nos nouveautés : www.facebook.com/editionsdelarchipel E-ISBN 978-2-8098-4618-8 Copyright © Lisa Barr, 2022. Copyright © L’Archipel, 2023, pour la traduction française. À David, Noa, Maya, Maya et Izzi, vous êtes tout pour moi. Et en mémoire de ma grand-mère adorée, Rachel, une survivante, une battante, une maman ourse et une grande cuisinière, la voix dans ma tête. « Les bons artistes copient, les grands artistes volent. » Pablo Picasso « On peut regarder un tableau pendant une semaine et ne jamais y repenser. On peut aussi en regarder un autre pendant une seconde et y penser toute sa vie. » Joan Miró Sommaire Prologue 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 Épilogue Prologue Salon Art Basel, Miami June capte le regard anthracite de la femme qui la détaille comme si elle était une œuvre d’art. Elle pivote légèrement, le cœur battant la chamade, et s’offre sciemment à son examen. Doucement, se rappelle-t-elle. Chaque geste compte. Elle s’est minutieusement préparée pour cette soirée. Elle a étudié les préférences de Margaux de Laurent, connaît son style et ses goûts sur le bout des doigts. Elle a travaillé son look. Adieu la journaliste studieuse, place à la femme élégante, sexy et aguichante. Ses boucles châtains indisciplinées cascadent en douces ondulations. Elle a troqué ses strictes lunettes en écaille pour des lentilles et porte une robe bandage asymétrique rouge cramoisi signée Hervé Léger, révélant des courbes qu’elle a passé sa vie à camoufler sous des sweat-shirts amples. Un message accompagnait la robe : Mettez-la. Le sinon était implicite. On lui avait également envoyé des escarpins, des stilettos Anika Baum aux talons de dix centimètres. Rien de surprenant à cela car, à Art Basel, les chaussures passent avant l’art. Elles dévoilent tout : qui vous êtes, si vous êtes un client sérieux ou non, ce que vous pouvez vous offrir. « Il suffit d’un détail pour tout foutre en l’air, lui avait-on dit des mois plus tôt quand l’enquête n’en était qu’à ses débuts. Margaux de Laurent est considérée comme la galeriste la plus importante au monde. Néglige les détails et tu n’es plus dans la course. » Margaux lui décoche une moue séductrice de ses lèvres grenat brillantes. Mais June ne s’y trompe pas. Elle n’y voit pas de la concupiscence, mais une tentative de contrôle. Margaux prend deux flûtes de champagne sur un plateau et en lève une vers elle, d’un geste qui suggère qu’il ne faut pas se fier aux apparences, que les enjeux sont élevés. C’est sa soirée, après tout, l’événement le plus convoité du salon où il faut voir et être vu, et elle attend de June qu’elle joue le rôle qu’elle lui a attribué. La soirée de la galerie de Laurent, parrainée conjointement par UBS et LVMH, est un événement ouvert aux seuls détenteurs d’invitations remises en mains propres, qui expose avec faste les artistes émergents et reconnus de la galerie. Elle attire célébrités et top-modèles, trafiquants de drogue et personnalités politiques, influenceurs et mondains, critiques et collectionneurs en vue, qui se croisent dans la cour de la Versace Mansion, et ne partiront probablement pas avant le lever du jour. L’important pour Margaux n’est pas tant de vendre les œuvres de ses artistes que de mettre sa marque en valeur et d’éclipser ses concurrents. Élégante dans une robe smoking Tom Ford qu’elle porte à même la peau, à mi-chemin entre l’androgyne et la star du porno, Margaux savoure son statut de reine du bal. June en est malade rien qu’à la regarder. Elle frissonne quand elle la voit se frayer un chemin jusqu’à elle. Reste calme, prends un air assuré. Tu n’auras pas de deuxième chance. Tout dépend de cet instant. Elle jette un rapide coup d’œil dans la cour, au-delà des noceurs, et aperçoit Adam parmi un groupe de journalistes, en train de parler de ses toiles. Il ne la voit pas encore ; ne sait même pas qu’elle est ici. Ça vaut mieux. Comme il est beau. D’une beauté sauvage, les cheveux en bataille, un blazer branché qu’il déteste sur le dos. June sait qu’il préfère être en jean déchiré et T-shirt à l’effigie d’un groupe de rock. Elle ferme brièvement les yeux, essaie de ne pas penser au passé. Elle doit rester concentrée et le protéger, les protéger tous, de Margaux. Elle lutte contre la peur qui la saisit. Cette salope est un danger pour tout le monde. Elle serre les poings, sachant qu’il lui faudra beaucoup de cran pour piéger Margaux et faire éclater la vérité. Pas celle qui sera publiée le lendemain dans le journal. Mais la version cachée de l’histoire. Flânant parmi la foule apprêtée, Margaux ne semble pas remarquer les flagorneurs qui cherchent à attirer son attention tandis qu’elle avance vers June avec une précision de panthère. Les invités obséquieux s’écartent, la laissent passer. June retient son souffle quand la veste soyeuse de Margaux effleure sa peau nue. D’aussi près, elle ne peut s’empêcher d’inhaler son parfum entêtant, vanille tahitienne avec des soupçons de rose – No 1 Imperial Majesty de Clive Christian, l’un des plus onéreux au monde. — La robe vous va comme un gant, lui chuchote Margaux à l’oreille. Prenez des notes et tenez-vous prête. Elle prévient toute question ultérieure en collant ses lèvres sur la bouche d’une June prise au dépourvu, qui doit se dominer pour ne pas recracher le goût de champagne et de tabac. — Et ne faites pas de vagues, la prévient Margaux, qui lui remet la flûte de champagne Ruinart puis la quitte et traverse la cour. Quand June lève les yeux, elle croise