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Le dernier torero

Author/Uploaded by Camille de Villeneuve; Camille de Villeneuve


 
 
 CAMILLE DE VILLENEUVE
 
 LE DERNIER TORERO
 
 roman
 
 GALLIMARD
 
 
 Pour Thomas DufauPour Donatien Lastelle
 
 
 
 À la fin de l’ouvrage, le lecteur trouvera un glossaire expliquant les principaux
 termes techniques de la tauromachie.
 
 
 
 
 SAINT-VINCENT
 
 
 Chapitre 1
 
 Au mome...

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 CAMILLE DE VILLENEUVE
 
 LE DERNIER TORERO
 
 roman
 
 GALLIMARD
 
 
 Pour Thomas DufauPour Donatien Lastelle
 
 
 
 À la fin de l’ouvrage, le lecteur trouvera un glossaire expliquant les principaux
 termes techniques de la tauromachie.
 
 
 
 
 SAINT-VINCENT
 
 
 Chapitre 1
 
 Au moment où Sandra a été prise, je la photographiais. Elle s’était préparée pour
 donner la mort, penchée en avant, écrasant la demi-pointe de son pied droit, la tempe
 blottie dans l’arc du bras. Ses pieds ont glissé face à la bête, elle a tendu le coude.
 Le ciel a déchargé son premier coup de tonnerre. Les yeux se sont levés vers les grumeaux
 noirs qui rasaient l’arène.
 
 Mon appareil photo est descendu en même temps que les têtes alors que Sandra reculait
 vers les planches, la main sur la cuisse. L’arène s’est assombrie d’un coup. Personne
 n’avait vu l’accident. Stéphane et Marc, les banderilleros de Sandra, ont couru vers
 le taureau. Elle a crié : « Laissez. » Sa plainte, d’abord rauque, s’est achevée dans
 un gémissement. L’arène s’est mise à bruisser.
 
 Le colosse brun longeait la palissade en tendant la tête, il cherchait à voir par-dessus.
 Sandra ne l’a pas quitté des yeux. Elle s’est glissée par la fente du burladero, a ouvert la main. Le sang a giclé, son visage est devenu de la glace noire. Les
 spectateurs se penchaient, les mains crispées sur les épaules de leurs voisins. Certains ont crié. Il s’est mis à pleuvoir.
 
 « Manolete », a dit l’homme à mes côtés en laissant tomber la cendre de son cigare.
 Il s’est rassis et a croisé les jambes, balançant un mocassin verni. Au sol, les cendres
 se mêlaient aux cosses déchirées de cacahuètes et aux graines de tournesol. Son visage
 avait durci, creusant la trace d’une cicatrice sur le front. « Ici à Séville, nous
 n’aimons pas la blessure », m’a-t-il dit comme si j’étais une sanguinaire venue dans
 l’espérance que les choses tourneraient mal. Les Sévillans n’aiment pas les publics
 dont l’exigence est sans tendresse comme dans certaines arènes du Sud français. Mon
 voisin avait deviné à mon accent que je venais de là. « Manolete est mort comme ça,
 au moment de tuer. Quelle tragédie. » L’homme se penchait parfois dans la direction
 du drame, observait puis se calait de nouveau en arrière.
 
 Stéphane et Marc, les deux garçons de sa cuadrilla, ont soulevé Sandra et l’ont emportée
 en courant vers l’infirmerie. Ils trottaient, moulés dans leurs habits pastel et or.
 De loin on aurait dit des acteurs travestis de comédie ancienne. J’ai aussitôt pensé
 aux moqueries qu’ils susciteraient sur les réseaux sociaux, certaines seraient comme
 souvent prosaïquement homophobes. J’ai vu le bras de Sandra pendre soudain entre les
 cuisses des garçons, sa main rouge.
 
 Le règlement voulait que le taureau soit tué par le chef de la lidia, le plus âgé des trois toreros de l’après-midi. Il s’agissait de l’Andalou Sánchez.
 Son premier banderillero est entré en piste pour divertir le taureau. La cape jaune
 et rose a frôlé l’animal qui l’a fait voler d’un coup de reins. Elle est retombée comme un mouchoir quelques mètres plus loin. Le taureau a rué et
 couru à travers l’arène comme poursuivi par un essaim de mouches.
 
 Il était rare qu’un animal se montre si vif à la fin d’une faena dont la fonction
 était de préparer à la mort. Sandra avait coupé court au tercio car l’animal levait la tête à chaque passe, il l’avait devinée derrière l’étoffe
 et devenait dangereux. « Il n’est pas prêt à mourir, le pauvre », avait soupiré une
 dame derrière moi. Díaz, le plus jeune torero, s’est avancé sur le sable au secours
 du garçon qui fuyait. Il a tendu sa cape, le taureau a hésité. Díaz était un gars
 trapu de Mexico, aux yeux fendus et au nez à pic, d’environ vingt ans. Le taureau
 l’a chargé. Le gamin se donnait du courage en bondissant devant lui. On entendait
 le sable crisser de peur sous ses ballerines. Le taureau a refusé la cape, il est
 passé tête baissée contre l’homme. Il y a eu un choc, Díaz a sautillé à reculons sans
 quitter l’animal des yeux, s’est retourné pour prendre appui sur les planches et les
 enjamber. Une fois dans le callejón, il a craché dans le sable puis s’est tourné vers Sánchez en secouant la tête.
 
 Le vieux torero andalou se tenait à l’écart, les bras jetés sur les planches, les
 fesses joliment saillantes, le regard perdu vers le centre de l’arène. Il s’est redressé,
 s’est pincé le nez et a levé le menton en clignant des yeux. Les boucles brunes gominées
 qui lui tombaient presque aux épaules dans sa jeunesse avaient blanchi et cachaient
 mal à présent le haut dégarni de son crâne. Par coquetterie, il ne les coupait pas.
 
 « Sánchez ne veut pas », ont murmuré les gradins. Le torero s’était bien fait comprendre en restant planté à l’abri du callejón. Il n’irait pas. Habituellement, si un torero ne parvient pas à tuer, le taureau
 rentre au toril et c’est la honte pour l’homme. Les choses étaient plus indécises
 dans cette situation. Sánchez était un torero excentrique qui pouvait refuser les
 tâches auxquelles il était tenu dans l’arène. Il en sortait alors sous les huées et
 les coussins pleuvaient sur lui. La bête, telle une lune folle, courait en cercles
 de plus en plus petits autour du moyeu de l’arène. Elle s’arrêtait parfois, semblant
 demander quelle était la fin de tout cela.
 
 Sánchez hochait la tête vers Carlos Díaz qui s’était accroupi contre les planches.
 Un homme de piste serrait un bandage interminable autour du poignet de Díaz bien que
 personne ne l’eût vu se blesser. De l’autre main le torero faisait de grands gestes
 démonstratifs vers Sánchez. « Hé. Vous voyez bien que ce taureau est dangereux »,
 semblait rétorquer le torero vétéran. Une longue sonnerie a sonné la

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