La chair est triste hélas

DE LA MÊME AUTRICE Porno Manifesto, Flammarion, 2002 ; La Musardine, 2004 Libres ! Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels, illustrations de Diglee, Delcourt, 2017 À un clic du pire. La Protection des mineurs à l’épreuve d’Internet, Anne Carrière, 2018 Baiser après #MeToo. Lettres à nos amants foireux, illustrations de Diglee, MARAbulles, 2020 Les Cœurs insolents, illustrations de Audrey Lainé, MARAbulles, 2021 Tu n’es pas obligée, illustrations de Diglee, La ville brûle, 2022 FAUTEUSE DE TROUBLE Une collection dirigée par Vanessa Springora Conception graphique de la couverture : Valérie Gautier © Éditions Julliard, Paris, 2023 ISBN : 978-2-260-05522-8 Éditions Julliard – 31, rue Étienne Marcel, 75001 Paris Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. « Le sexe ne permet aucune relation. C’est au contraire une expérience solitaire, elle n’est pas créatrice, c’est une perte de temps. […] Il faut avoir pas mal baisé pour devenir anti-baise, et les SCUM sont passées par tout ça, maintenant elles veulent du nouveau. » Valerie Solanas, S.C.U.M. Manifesto « Les femmes sont toujours trop ce qu’elles sont, rivées à leur sexe, […] des poupées qui ont telle taille, telle coiffure, qui ne veulent rien et qui en veulent toujours plus, qui se masturbent à tout propos et qui n’en ont jamais assez, qui s’occupent tout entières à exciter les hommes, sans autre but dans la vie que se regarder dans la glace et se comparer aux autres. » Nelly Arcan, Putain Table des matières Page de titreDe la même autricePage de copyrightExergueAvant-proposPrologueChapitre 1Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4Chapitre 5Chapitre 6Chapitre 7Chapitre 8Chapitre 9Chapitre 10ÉpilogueRéférences Avant-propos Ce texte n’est ni un essai ni un manifeste. Il n’est en rien une leçon de féminisme ni un projet de société. Tout au plus est-il un exutoire, un texte cathartique en écriture automatique, un discours de colère et de désespoir, où l’affect amorce la réflexion. Je l’ai pensé comme une série d’uppercuts dans le vide, une gesticulation vaine, les babines retroussées d’un animal blessé qu’on n’ose aider à se relever. Il est un vernis qui craquelle, si on le gratte trop fort, et laisse apparaître ma laideur et celle des autres, celle qu’on ne veut pas voir. Il est tout ce que je ne peux dire, tout ce que je m’interdis de verbaliser de peur que mes mots dépassent ma pensée. Il est une violence qu’on finit par regretter, mais par laquelle il faut passer pour trouver l’apaisement. Ce texte est la fureur qui m’embrase et me consume. Prologue Un jour, je n’ai plus pu. Oh, bien sûr, il y a eu des signes avant-coureurs, ce genre de choses n’arrive pas ex nihilo. Le dégoût, d’abord ponctuel, a pris place insidieusement, jusqu’à m’envahir complètement. Comme un épuisement psychique, un burn-out, une impossibilité de faire un pas de plus, de rouler un kilomètre supplémentaire sur cette longue route de la perte de sens. J’ai repensé à ces innombrables rapports auxquels je m’étais forcée à consentir par politesse, pour ne pas froisser les ego fragiles. À toutes les fois où mon plaisir était optionnel, où je n’avais pas joui. À toutes ces nuits où je m’étais ennuyée, où j’avais simulé dans l’espoir que la chose se termine plus vite. À tous ces coïts où j’avais eu mal avant, pendant, après. Aux préparatifs douloureux à coups d’épilateur, aux pénétrations à rallonge, aux positions inconfortables, aux cystites du lendemain et à la difficulté de trouver un médecin en urgence, aux mycoses parce que se laver les mains c’est trop Cela fait presque quatre ans que je fais la grève du sexe. J’ai stoppé les machines sans réel événement déclencheur. Ou plutôt si, une multitude de contrariétés on ne peut plus classiques : une déception amoureuse, des histoires de cocufiage, une « petite » fausse couche qu’autrefois on aurait pudiquement qualifiée de « retard de règles ». Au début, je n’ai pas conceptualisé cet arrêt comme une grève officielle ou un acte militant. Ni même comme une vengeance ad hominem, je n’ai voulu priver personne de dessert. J’ai entamé une grève silencieuse de la chambre à coucher afin de voir ce qui en découlerait. J’ai mis une pièce dans la machine pour observer ce que cela changerait, à ma vie, à mon quotidien, à ma relation aux hommes, à mon corps, à mon rapport au monde. Je ne me suis pas réveillée en me disant « Demain, j’arrête », comme on se mettrait au régime ou on jetterait sa dernière cigarette, en prenant de bonnes résolutions qui