Author/Uploaded by Robert Deladrier
Polar Image : Adobe Stock Illustration graphique : Graph’L Éditions Art en Mots Prologue Ce samedi 10 mars plus de deux cents filles libéraient bruyamment leur adrénaline dans le stade du club de Nice-Port. Le match de football contre Marseille allait incessamment débuter. Toutes arboraient la photo du jeune Armand Sany, leur nouvelle idole de dix-huit ans. L’émotion du nouvel attaquant vedette é...
Polar Image : Adobe Stock Illustration graphique : Graph’L Éditions Art en Mots Prologue Ce samedi 10 mars plus de deux cents filles libéraient bruyamment leur adrénaline dans le stade du club de Nice-Port. Le match de football contre Marseille allait incessamment débuter. Toutes arboraient la photo du jeune Armand Sany, leur nouvelle idole de dix-huit ans. L’émotion du nouvel attaquant vedette était indicible. C’était son émergence en championnat de France. Il remplaçait le décevant nigérian John Asomba, que d’aucuns disaient au bout du rouleau. Le public s’était déplacé en grand nombre pour le baptême de feu, et peut-être le sacre, de ce futur demi-dieu, qu’un journaliste néophyte comparait à Achille, le héros grec de la guerre de Troie : un corps vigoureux, une chevelure d’or et un sourire étincelant. Les arbitres pénétrèrent sur la pelouse, suivis des deux équipes. Ce fut l’ovation générale. Armand, avant-centre, avait à ses pieds le ballon rond du début de partie. Fébrile, il se sentait invincible. Les filles étaient folles de lui, les garçons l’admiraient, les adultes l’encourageaient. C’était le plus beau jour de sa vie. Il lui sembla que le stade entier scandait son nom. Ce n’était peut-être que ses fans ? Il crut discerner de la crainte chez ses adversaires. On le redoutait !!! Son maillot 18 moulait ses larges pectoraux. Sur la bordure du terrain, John Asomba, frustré de sa mise au rancart, s’écharpait méchamment avec son entraineur, le coach Bart Stikel. Armand s’en gaussa. Les réservistes le mataient avec jalousie. Les caméras se pointèrent vers lui et son visage se figea sur l’écran géant. Ce qui provoqua l’exaltation des spectatrices. L’arbitre consulta sa montre. Armand sut qu’il fallait s’extraire de cette singulière apesanteur et se concentrer sur la tactique imposée par le staff technique. L’équipe était disposée en quinconce conformément aux directives. Au coup de sifflet, il dribla un joueur, en loba deux autres et canonna de loin vers le goal. Une clameur désabusée s’éleva : le gardien du but avait facilement dévié le ballon. La tentative inaboutie fut cependant appréciée. Le jeu continua, cette fois-ci, devant la cage des Niçois. Les Marseillais les harcelaient non-stop. Leurs cavalcades étaient implacables. Ils variaient les passes, les réceptionnaient avec un art consommé. Ce n’était pas pour rien que leur club occupait la première place du Chapitre 1 : Un dimanche de pluie Peut-on avoir le cafard quand on est beau, baraqué et fou amoureux ? Peut-on broyer du noir à quelques semaines de ses vingt ans ? Peut-on s’ennuyer à ne rien faire depuis près d’un an ? Certainement pas pour Armand Sany, jeune charmeur malgré lui. Quoique… À Nice, l’hiver finissant jouait au yo-yo avec des journées de grand soleil et des giboulées glacées. Les températures fluctuaient subitement au grand dam des vacanciers et des cafetiers de la place Masséna. Cette ultime semaine du carnaval commençait sous de mauvais auspices. Les organisateurs spéculaient sur un simple crachin, ils récoltèrent, ce dimanche après-midi, de violentes bourrasques et des rafales de pluie. Du haut de son deuxième étage, le jeune Sany observait avec une pointe de mélancolie le cortège, chenilles processionnaires, progresser péniblement sur l’interminable avenue du bord de mer. Une musique assourdissante encourageait les participants dans leur marche cadencée. Déserté par la foule du matin, le défilé n’avait attiré qu’un maigre public. Les quelques badauds, sous leurs parapluies, ne se divertissaient plus. Ils étaient congelés et dépités par le navrant spectacle d’un carnaval en déroute. Sur un char, un monumental bouffon ondoyait sur un puissant ressort en acier et le terrifia. Une sensation de déséquilibre le fit chanceler. Il garda de longs instants les yeux clos. Quand il les rouvrit, la clownesque figurine en polyester avait fait place à celle d’une jeune fille à la face ravinée par le mistral. Des vipères cornues s’échappaient de sa chevelure dorée. Armand recula de quelques pas et s’appuya sur un guéridon en acajou massif. Une angoisse inexplicable l’étreignit. Il se maîtrisa, s’apaisa. « Quelle misère ! Tous ces sots dans le froid qui déambulent derrière des chars burlesques. Les caprices de la nature détérioreront leurs splendides accoutrements. Bientôt ils ne porteront plus que des guenilles. Et ce visage de carton-pâte, incroyablement saugrenu, s’altérera. Il fallait interrompre cette débâcle. Quel bousillage ! Oui, on aurait dû suspendre cette désastreuse procession. L’ânerie des organisateurs me révolte. » Songeur, son téléphone mobile en main, il se réfugia dans ce fauteuil avachi qu’il nommait pompeusement ‘Ma Quiétude’. Ce voltaire aux accotoirs rembourrés s’harmonisait avec le tripode circulaire Louis XVI. Il reprit la