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Un jour, j'ai menti

Author/Uploaded by Samira Sedira

Un jour, j’ai menti Du même auteur Des Gens comme eux Éditions du Rouergue, 2020 prix Eugène Dabit 2021 La Faute à Saddam Éditions du Rouergue, 2018 prix Exbrayat des lycéens 2019 Majda en août Éditions du Rouergue, 2016 L’Odeur des planches Éditions du Rouergue, 2013 prix Beur FM Méditerranée 2014 Le Meilleur des mondes (ouvrage collectif) L’avant-scène théâtre, 2014 Si vous souhaitez recevoir n...

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Un jour, j’ai menti Du même auteur Des Gens comme eux Éditions du Rouergue, 2020 prix Eugène Dabit 2021 La Faute à Saddam Éditions du Rouergue, 2018 prix Exbrayat des lycéens 2019 Majda en août Éditions du Rouergue, 2016 L’Odeur des planches Éditions du Rouergue, 2013 prix Beur FM Méditerranée 2014 Le Meilleur des mondes (ouvrage collectif) L’avant-scène théâtre, 2014 Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu informé de nos publications, envoyez vos coordonnées, en citant ce livre à : La Manufacture de livres, 101 rue de Sèvres, 75006 Paris ou [email protected] www.lamanufacturedelivres.com isbn 978-2-35887-956-9 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Il se pourrait que la vérité fût triste Ernest Renan Tandis que la lumière de mai faisait bruisser des choses invisibles, la Seine coulait sur son lit frais. C’était un beau matin clair et chaud, Paris sortait tout juste de l’hiver, tout était comme refait à neuf. Un petit vent mou, pris dans les ruelles étroites, soulevait des flocons de pollen, des odeurs de métro et de tabac blond. On entendait, par les fenêtres ouvertes, l’oignon crépiter dans son bain d’huile ; bientôt l’heure de la croûte ; partout les saveurs, et le bouillonnement des friteuses au fond des snacks ; panini, hotdog, omelette-frites, boulettes kefta, la bière glacée qu’on décapsule. Le long des avenues des gens marchaient calmement, profitant de la douce influence du jour. Le soleil de mai corrigeait la langueur des regards, réparait les dégâts de l’hiver interminable. La chair nue, dégelée, fumait. À l’abri de l’air et du jour, dans la poisse lisse des organes, la vie palpitait de nouveau de sang chaud. Tout, ici et là, tremblait d’une immense gratitude. Luce m’avait donné rendez-vous dans un café. J’avais proposé qu’on se retrouve à L’Âne bleu, tout près du quartier des Halles, à seulement quelques rues de chez moi. À L’Âne bleu, on ne s’encombrait ni de politesse ni de chichis. Ici, tout le monde connaissait tout le monde. Un bon vieux troquet comme on les aime : parquet d’origine bouffé aux termites et comptoir en zinc. Les murs sentaient le fromage grillé, la blanquette, l’anis, le café moulu. Chaque jour un essaim de Parisiens, braillards de l’apéro et abonnés au plat du jour, s’agglutinait dans la petite salle, sous la lumière des lampes, où l’air imbibé de graillon et de blablas ne circulait qu’au passage des serveurs, tout en sueurs et ronchonnements. En hiver, quand la salle était pleine et que les corps agités rendaient chaleur et eau, le restaurant se transformait en étuve ; une buée trouble dégouttait le long des vitres, et un parfum de vin piqué, suintant des caves, montait jusqu’à la salle pour vous saouler gratis. Les soirs d’été, à la tombée de la nuit, de minuscules mulots affamés détalaient au triple galop dans le guingois de la terrasse à la recherche de mie sèche pour l’hiver. Des pigeons tout fripés en équilibre sur leurs moignons calcifiés racolaient les clients. Les insectes, eux, sur le pont depuis l’aube, fuyaient aux abris, traînant péniblement leur butin de croûtes. Partout, dans l’immense comme dans l’infime, la vie s’accrochait, résistait. À L’Âne bleu on était comme à la maison. Au comptoir, le patron que tout le monde appelait « Chef », remplissait les verres avec le calme d’un préparateur en pharmacie, en vous écoutant de tout son visage. Il portait une moumoute, Chef. Tout le monde le savait, mais lui ne savait pas que tout le monde savait. Il était crédule Chef, une innocence primitive, celle d’avant le péché originel. Sa moumoute c’était du crin de cheval, d’une couleur indéfinissable, ni blond, ni brun, ni rien, et qui boulochait sur l’occiput. Il lui arrivait de la mettre de travers, la raie piquait une tête dans la mouillure de sa tempe droite, ou dans celle de gauche, ça variait. Les jours de grand vent, ses cheveux se dressaient sur sa tête en gros épis rêches. Ça faisait rigoler les serveurs, qui se moquaient en messe basse, C’est jour de moisson ! Les plus anciens clients de Chef étaient des âmes solitaires, ils n’avaient que lui dans leur vie. Chaque jour ils échangeaient quelques mots au comptoir, histoire de ne pas perdre complètement pied. En fin d’après-midi, ils regagnaient leur appartement, à reculons, comme des chiens qu’on mène à la fourrière. Chef ne comprenait plus notre société, cette vie de tristesse et de drames muets. Il disait souvent, sur un ton de fin du monde, citant on ne sait quel écrivain (Chef aimait lire) : « Toute vie est un puits de solitude. » Alors, tout en gardant un œil sur son royaume de bouche et un autre sur la bonne adhérence de son crin, il s’efforçait d’écouter ses vieux solitaires, pas toujours de gaieté de cœur, on pouvait le comprendre, mais sans jamais se départir d’une bonté immense, qu’il devait à son amour de la vie, de la nature, et des choses. Au civil, Chef s’appelait Luigi. Chaque matin peu après dix heures je venais prendre mon crème, toujours à la même table, celle du fond de l’ombre, près des cuisines, dans les vapeurs de Javel et les ronflements des machines à expresso. On me servait, plus besoin de réclamer, je répondais merci d’un simple sourire, ou d’un « Ça va ? » sans toutefois attendre de réponse. J’étais assise à cette même table, ce matin-là, quand je l’ai vue apparaître à la porte vitrée. À ma grande surprise, Luce était enceinte. C’était comme attendre une personne, et en voir arriver une autre, sous les mêmes traits. Je ne l’avais pas vue depuis plusieurs mois, mais nous nous étions régulièrement parlé au téléphone. Pourquoi ne m’avait-elle rien dit ?

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